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African Tabloïd, Janis Otsiemi

Ecrit par Catherine Dutigny/Elsa 03.12.13 dans La Une Livres, Afrique, Les Livres, Critiques, Polars, Roman, Jigal

African Tabloïd, septembre 2013, 208 pages, 16,80 €

Ecrivain(s): Janis Otsiemi Edition: Jigal

African Tabloïd, Janis Otsiemi

 

Le titre du roman est à la hauteur de l’humour de son auteur. Si Janis Otseimi a sans nul doute une profonde admiration pour l’œuvre de James Ellroy, African Tabloïd n’est certes pas l’équivalent d’American Tabloïd, si ce n’est par l’effet d’une profonde dérision, voire de l’autodérision.

Nous sommes à Libreville, capitale du Gabon, ville opulente en façade, avec ses immeubles de verre et de marbre, mais qui abrite à sa périphérie « des agglomérations hétéroclites, des bidonvilles marécageux, infestés de rats et de moustiques ». Dans cette ville cosmopolite, dans un pays où se côtoient, sans pour autant s’entendre, au sens propre comme au figuré, près de 50 ethnies aux dialectes différents, policiers et gendarmes vont enquêter sur une série de délits et de crimes qui permettent à Janis Otsiemi d’illustrer avec une verve réjouissante quelques uns des maux qui rongent l’ancienne colonie française d’Afrique subsaharienne.

Au menu : corruption des forces de l’ordre, exécution d’un journaliste d’investigation dans un pays où la presse est à la solde du gouvernement, pédophilie et trafic de médicaments, inefficacité de l’administration dépourvue de méthodes et de moyens matériels et financiers, intrusion du pouvoir en place dans les enquêtes et collusions liées au népotisme…

Beaucoup de thèmes qui donnent le frisson et dressent un tableau d’un Gabon peinant à trouver sa voie sur le chemin de la démocratie. Accumulant les enquêtes, passant du simple fait divers à ce qui pourrait devenir une affaire d’État, l’auteur ne peut en 200 pages approfondir certains de ses sujets. Un choix narratif que l’on peut regretter tant il y aurait eu de matière à creuser sur l’un ou l’autre de ces délits.

Ainsi la mort du journaliste Roger Missang, enquêtant pour le compte de l’hebdomadaire les « Échos du sud », journal plusieurs fois suspendu pour des articles hostiles au gouvernement, et tué froidement par une arme ayant déjà servi dans l’assassinat de Pavel Kurka, chef de la sécurité du ministre de la Défense gabonaise, aurait pu être le point de départ d’une enquête beaucoup plus fouillée sur les arcanes politiciens du pays. Appâtant d’abord le lecteur, l’auteur botte finalement en touche. Autocensure ? À sa décharge, il est vrai que s’il n’hésite pas à chatouiller là où cela fait mal, on comprend aussi qu’il avance sur la pointe des pieds sur un sujet hautement sensible, prend des précautions, lui qui a rencontré déjà bien des difficultés à obtenir un visa pour se rendre en France en mars dernier.

Il en est de même pour le trafic de médicaments qui, selon certaines enquêtes récentes rapportées par l’OMS, est 25 fois plus rentable que celui de la drogue, et cause en Afrique de très nombreux décès. De quoi, là aussi, alimenter sans aucun problème l’intrigue principale d’un thriller.

Passé ce sentiment de frustration, on arrête de « rouscailler » et l’on prend un réel plaisir à suivre ses héros, les policiers Pierre Koumba et son coéquipier Owoula, les gendarmes Louis Boukinda et Hervé Envame, dans leurs différentes enquêtes qui finiront par se croiser. Au Gabon, pas d’analyse ADN, pas de police scientifique… on bosse avec des indics, on tape ses rapports sur des machines à écrire du « temps de Gaulle », les fichiers sont pour la plupart manuels et le terme IP est inconnu des policiers. En toile de fond, l’écrivain brosse une peinture cocasse et sans concession de ces représentants de l’ordre, peu, voire pas du tout, diplômés, racketteurs parfois, courageux et têtus dans leur travail souvent, mais aussi adeptes de la « cuisse tarifée » et se débattant au quotidien pour trouver un équilibre entre leurs femmes officielles et leurs « bonnamies » attitrées.

Janis Otsiemi, et c’est un vrai régal, jongle avec la langue, invente, détourne, sème dans ses écrits des expressions locales savoureuses pour mieux « marabouter » ses lecteurs, les rendre accros à son style. Dénonçant polar après polar les multiples scandales et méfaits dont souffre le peuple gabonais, il fustige le régime en place et la Françafrique qui sortent bien écornés par ses saillies critiques.

On ne le « rebelotera »* jamais assez, l’Afrique francophone tient en la personne de Janis Otsiemi un écrivain de thrillers, plus que prometteur.

 

* rebeloter : répéter

 

Catherine Dutigny/Elsa

 


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A propos de l'écrivain

Janis Otsiemi

 

Janis Otsiemi est né en 1976 à Franceville, au Gabon où il vit. Il est aussi poète et essayiste. Son dernier roman intitulé Le Chasseur de lucioles est paru en février 2013, également chez Jigal à Marseille.

 

A propos du rédacteur

Catherine Dutigny/Elsa

 

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Rédactrice

Membre du comité de lecture. Chargée des relations avec les maisons d'édition.


Domaines de prédilection : littérature anglo-saxonne, française, sud-américaine, africaine

Genres : romans, polars, romans noirs, nouvelles, historique, érotisme, humour

Maisons d’édition les plus fréquentes : Rivages, L’Olivier, Zulma, Gallimard, Jigal, Buschet/chastel, Du rocher, la Table ronde, Bourgois, Belfond, Wombat etc.