Achever Sartre, Élucidations sur les dix dernières années de sa vie, Laurent Touil-Tartour (par Patricia Trojman)

Et c’est Sartre et non l’inverse qui aura changé le point de vue de Benny Lévy, n’en déplaise à Simone de Beauvoir, ne comprenant pas pourquoi Sartre a œuvré pour faire naturaliser Benny Lévy en l’assignant à sa propre identité de juif. Après des fulgurants échanges entre ces deux hommes durant 10 ans qui aboutit à une synthèse de leurs années de combat révolutionnaire dans L’Espoir maintenant, on assiste à une profonde remise en question quasi simultanée du gauchisme et de ses illusions ainsi que de la généalogie des grandes mythologies enfiévrant la gauche prolétarienne dont la cause palestinienne.

L’antisionisme de l’un et de l’autre accouchent d’une vision prophétique de l’avenir d’Israël qui prend toute sa dimension dans le nouvel humanisme lévinassien.

La question de la reconnaissance de l’altérité devient centrale pour ces trois philosophes qui ont pu surmonter leur contradiction grâce à ce supplément d’âme qui n’est autre qu’un supplément d’intelligence.

Vision qui nous manque si cruellement aujourd’hui, celle de la révélation de l’altérité et la reconnaissance fondamentale et ontologique contre la barbarie des idéologies totalitaires qui ont pu accoucher de tous les massacres antisémites.

Celui que Pierre Goldman rencontra un jour de l’année 1975 encore sous le pseudonyme révolutionnaire de Pierre Victor et qu’il présenta, dans ses Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, comme « un talmudiste égaré dans la glose doctrinale des textes talmudistes ».

Le 10 mars 1980, Sartre fait donc paraître ses entretiens controversés avec Benny Levy qui feront l’objet de l’ouvrage L’Espoir maintenant. Tel est le scandale lié au dernier Sartre s’exposant à toutes les violentes attaques. Cela constitue son testament intellectuel sur les grands tournants philosophiques de sa vie, la violence en politique et la révolution, jusqu’au messianisme juif, les sujets sont sidérants pour les sartriens.

Laurent Touil-Tartour, à qui nous laissons le soin de conclure :

« On lit, rivés, émerveillés, grisés. Séduits par la haute teneur ainsi que par l’honnêteté intellectuelle qui s’y dégage. Sartre y revient en effet sur nombre de ses positions passées. Rupture avec l’éloge de la violence, rupture avec la vision hégélienne de l’Histoire, rupture avec Heidegger, rupture avec certains énoncés de ses propres œuvres, bref, une admirable remise à jour de sa pensée ».

Sartre qui avait toujours prescrit de « penser contre soi-même » le faisait maintenant librement en pensant contre ce qu’il avait lui-même construit : le dogmatisme existentialiste de gauche.

« Vaillante résistance de Sartre contre son propre camp qui invalide la thèse d’un vieillard facilement détournable ».

Patricia Trojman