A propos des "Petites métanies du temps" de Patrick Maury
Ecrit par Didier Ayres 03.11.12 dans La Une CED, Etudes, Les Dossiers
A semer large
Petites métanies du temps, Patrick Maury, Editions Obsidiane, collection Les Solitudes, 2000, 61 pages, 9,90 €
On pourrait, bizarrement, commencer l’ouvrage de Patrick Maury par le bandeau de la fin qui explique que le livre a été imprimé entre la Toussaint et le Jour des morts 2000, veille du Grand Anniversaire, qui est sans doute de la main de l’éditeur, mais qui permet une entrée aux 53 poèmes qui sont comme 53 petites prières de pénitence. On pourrait raisonner aussi en voyant le souci des 52 semaines de l’année, 52 semaines plus une, qui permettent au poème de passer les jours, les fêtes, les saisons, pour revenir juste un peu au-delà d’où il était venu.
Alors pourquoi « à semer large », qui est le premier vers du premier poème du livre ? Pour ce qui me concerne, j’ai choisi ce titre pour décrire la croissance, qui ne s’explique pas seulement par la force de croître, mais par la spiritualité qui s’ajoute à la fermentation de la graine, dans une bonne terre avec peu de ronces. Ainsi, croître, semer large, pour essayer quelque chose qui fructifie. Et cette position me semble à la fois être une activité agricole et poétique, matérielle et immatérielle.
Alors quel est ce monde piqué de lumière, qui fait écho au visage qui s’empreint dans le linge ? A mon sens, c’est cette double entrée – matérielle, celle de l’étoffe, et immatérielle, celle du visage – qui donne toute la valeur relative à la signification du poème. Ce monde piqué de lumière est bel et bien une épiphanie de l’étoile, pour lequel il est souhaitable de choisir le camp des étoiles. C’est un parti-pris poétique évidemment, presque religieux, que l’on peut aborder de façon simple ou complexe.
Pour ma part j’aime cette strophe du 46ème poème : C’est pourquoi je ne désire rien tant /que de me coucher dans l’alignement paisible /des corps enfin soumis /à la dynastie des mots, où je retrouve le monde platonicien qui fait plier la chose dans sa désignation, comme si l’on pouvait plier une force surnuméraire avec la parole, la simple parole qui dit la chose. Et c’est d’autant plus intéressant que la distance voulue entre la représentation et l’idée, entre l’aspect vif du langage et la piqûre du réel, cette couture en quelque sorte, opère le langage dans la chose qu’il relate.
Monde vertical aussi, qui aspire à l’ascension, à la hauteur, et qui n’oublie pas que les ombres sont à la fois ce qui cache et ce qui dénonce. On devine à travers la verticalité des ombres la nature des choses décrite par la lumière, dans la nudité de la partie ombrée. Mais l’issue finale de cette ombre est horizontale, car l’axe de l’ombre s’étire sur l’horizon, et s’aplanit en quelque sorte.
Est-ce le buisson confus qu’ils portent ? /Et la neige la plus froide /accueille leurs pieds vivants. /Tous à un dans la file des morts /ils suivent en chantant /le maigre compagnon des heures. /Pause. /Par le chemin qui donnerait la clef, /les ornières de l’hiver, comme un brancard noir, /conduisent le temps. /Sur ceux-là qui marchèrent, /le gravier froid de la nuit s’effondre /en un petit sanglot de fer. Ces vers permettent sans doute de voir que la signification est plus importante que ce qui est prononcé. Disons, que l’idée est plus vaste que la chose dite, que quelque chose de supérieur lutte pour venir au jour, prendre le dessus en quelque sorte, grandir le monde clos des choses.
On retrouve aussi ce fameux mélange d’eau, de sang et d’esprit que nous indique la première épître de Jean, pour nous montrer que la simple chose ne suffit pas, qu’il faut de l’ailleurs, du tremblant, un monde plus large qui viendrait s’agglutiner dans le détail, de la pensée qui soudain s’éprend de quelque chose amoureusement, de la complexité d’une blessure qui ne trouve vraiment de sens que dans son application spirituelle. En tout cas, cette explication m’a bien servi pour détailler l’encorbellement de l’âme, visiter un au-delà du texte propre pour m’arrêter en un monde à part entière. Donc, à semer large revient à faire une lecture subjective et partiale, rythmée par les treize vers de chacun des poèmes, dont le chiffre n’est pas non plus ici aléatoire, pour dénoter la vaste nature des terres et des paroles.
Didier Ayres
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A propos du rédacteur
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Rédacteur
domaines : littérature française et étrangère
genres : poésie, théâtre, arts
période : XXème, XXIème
Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen. Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.