52.dimanche (VI)
ce dimanche 5 février, temps de neige
la page, ou comment appréhender la surface
car c’est une coupure dans l’état de la réalité, cette page physique qui détoure un espace et une clôture pour le langage
aussi, le rapport physique qu’entretient la main sur le papier, le bruit parfois de l’écriture, sont de petites aventures qui forment l’aspect le plus spectaculaire de la page
cependant, son vrai mystère n’est pas élucidé, sans doute pas mieux avec les quelques mots d’aujourd’hui
il reste que je tente une fois encore de saisir, d’appréhender quelques idées grâce à l’espace vacant que me donne ce feuillet
il y a une autonomie de la page, qui survit après l’écriture, de cela je suis certain
je ne le dis pas en regard d’une gloire imaginée, mais proprement, parce que la page blanche reste un endroit d’angoisse bien connue, un espace où l’on construit une image de soi, où l’on compose un portrait, le tout dans une confrontation au vide et, en quelque sorte, à la solitude
ce n’est donc pas neutre
je reprendrai pour moi, en l’appliquant à écrire, quelques propos d’un vieil ami peintre – un peintre du blanc – qui me disait : « il faut faire la peau de la peinture avant qu’elle ne te fasse la peau »
je mets cette espèce de phrase du côté de la vérité cachée, comme ce « l’art est un crime » graffité sur un mur à Poitiers
pour finir, ma lettre d’aujourd’hui aura un aspect bien sentencieux qui n’élimine pas le vrai risque d’écrire
pour ma part je n’ai aucun compte à régler avec la métaphysique et je considère la page comme une source graphique qui devient un outil de communication, qui passe alors par une variété d’opérations, lesquelles dilatent la signification, la font déborder d’elle-même, comme cet apprenti sorcier de Disney et sa magie noire
c’est sans doute en cela qu’écrire est ambigu, porté par deux natures, la pérennité de la page et le travail éphémère et presque illuminé de l’activité de « manuscrire », double naissance et double fin
aspect confusionnel apparent des termes de ce message, mais que résument la page blanche devant la fenêtre blanche et les neiges de la ruelle
Didier Ayres
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