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Quel avenir pour l’édition numérique à l’heure des médias sociaux ? Entretien avec Stéphanie Vecchione

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) 19.06.15 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

Quel avenir pour l’édition numérique à l’heure des médias sociaux ? Entretien avec Stéphanie Vecchione

 

Stéphanie Vecchione intervient auprès des auteurs pour les aider à cibler et engager leurs lecteurs sur le web. Elle conseille et forme également les acteurs du monde du livre dans la construction de leur communication digitale et de leur communauté. Responsable de la communication des dynamiques éditions La Bourdonnaye, elle vient de relever un nouveau défi : lancer, avec Benoît de La Bourdonnaye, Déclic Digital, une société de formation et conseil en numérique. Le Mot & la Chose a donné la parole à Stéphanie Vecchione pour faire le point sur les challenges du livre et explorer les possibles de l’immense continent digital adaptés à l’avenir de la lecture.

 

Le Mot & la Chose : Le marché du livre physique en France ne cesse de se contracter ces dernières années (-1,3% en 2014 pour 3,9 milliards d’euros). Selon le cabinet d’études Xerfi, les acteurs du marché ne peuvent plus faire l’impasse sur un développement de leurs offres d’ouvrages électroniques. Pensez-vous que l’édition numérique conjointe à une communication du type social médias seront suffisantes pour rendre ce marché pérenne ?

Stéphanie Vecchione : Pour rebondir sur la première partie de votre question, les récentes études réalisées en France autour du marché du livre numérique montrent que deux facteurs essentiels bloquent aujourd’hui son développement : l’absence d’une offre élargie et attractive (peu de nouveautés, livres homothétiques, peu d’utilisation de contenu enrichi…), et les prix pratiqués par la profession, souvent alignés sur ceux du format poche. Selon moi, le marché du livre numérique peut apporter un dynamisme et un renouveau au marché du livre actuel. Cependant, cela ne sera possible que si l’innovation et l’ouverture sont privilégiées, tant sur le plan éditorial qu’au niveau des politiques tarifaires.

Quant au second point, je pense effectivement qu’une bonne communication digitale est un des facteurs clés de succès pour le développement du marché du livre numérique mais aussi, plus globalement, du marché du livre. Les communautés littéraires sont particulièrement actives sur le web. Leur enthousiasme et leur dynamisme peuvent aujourd’hui très largement contribuer au succès d’un auteur ou d’une maison d’édition. Avec peu de moyens mais des idées et du temps, il est possible de s’allier ces communautés et de les fédérer. Vous touchez ainsi les lecteurs les plus actifs et les plus écoutés, et indirectement leur audience. Quand elle s’appuie sur une vraie stratégie, pensée et en accord avec la ligne éditoriale d’un auteur ou d’une maison, la communication digitale est un accélérateur de notoriété et d’audience qui finit par se traduire effectivement sur les ventes.

 

MC : Une nouvelle plateforme de mise en relation entre les auteurs et leur public vient de voir le jour au Salon du Livre 2015 : Iggybook. Selon vous, quels vont être les nouveaux moyens pour un auteur de promouvoir son livre ?

SV : Avant, l’auteur était dans sa tour d’ivoire, un auteur distant, inaccessible… ou difficilement accessible. Les réseaux sociaux ont changé la donne. Les auteurs sont aujourd’hui en contact direct avec leur lectorat, et celui-ci désire que l’auteur soit accessible, qu’il se dévoile. Un lecteur qui suit un auteur sur les réseaux sociaux, c’est un lecteur qui veut partager son quotidien créatif. Il veut à la fois de l’intime et de l’exclusif. Pour l’auteur, cela change tout. Il ne peut plus compter uniquement sur les autres pour communiquer. Il doit en permanence animer sa communauté, la fédérer, voire la constituer s’il débute. Et les deux difficultés qu’affrontent les auteurs face à cette nouvelle tâche sont : de faire la part entre ce qu’il est « bon de dire » et le « trop intime », de réinjecter leur créativité dans leur manière d’animer les réseaux sociaux. Mon conseil aux auteurs serait le suivant : partagez votre quotidien créatif, parlez de votre livre avant même qu’il naisse, lorsque l’idée se dessine, créez-vous un univers visuel qui vous ressemble et qui parle à votre audience. Pensez aussi et avant tout à interagir : les réseaux sociaux sont faits pour nouer des relations et ces relations sont impossibles si elles ne sont pas basées sur la réciprocité. Les auteurs aux communautés les plus engagées sont ceux qui accordent du temps à leurs lecteurs… et pas seulement pour parler de leurs livres !

 

MC : Le rôle des critiques, des journalistes n’est-il pas à l’aune d’une mutation ? Quelle pourraient alors être les bonnes solutions pour fluidifier ce marché dans l’intérêt de l’ensemble des acteurs, lecteurs et consommateurs compris ?

SV : Dans mon travail quotidien, pour faciliter les rapports avec les blogueurs, la solution est de trouver des synergies. Ils sont à la recherche de contenu pour leur blog, alors pourquoi ne pas tout simplement les aider à produire du contenu de qualité comme un jeu collaboratif un peu élaboré ? L’audience des réseaux sociaux n’a pas toujours besoin d’appartenir uniquement à celui qui l’a créée. On peut choisir d’en faire bénéficier un autre pour toucher une nouvelle communauté. C’est le principe du partage et du collaboratif appliqué à la communication culturelle.

 

MC : Pour plus de contrôle et de « retour positif », la solution ne serait-elle pas que les éditeurs « organisent » la visibilité de leurs auteurs sur les médias sociaux à partir de plateformes qu’ils contrôleraient ?

SV : Oui, certains éditeurs innovants, comme les éditions La Bourdonnaye, l’ont compris et ont commencé à former leurs auteurs au maniement des réseaux sociaux. Un auteur qui sait communiquer et fédérer son lectorat autour de ses livres, c’est un auteur qui s’assure un certain nombre de ventes à chaque nouvelle sortie. Par contre, j’ai un doute sur la notion de plateforme et de contrôle. Les communautés ne sont pas si malléables. Même si elles peuvent être fidèles à des auteurs, elles ont du mal à être attirées sur des espaces qu’elles n’ont pas choisis… à moins, bien sûr, que le contenu et le maniement de cette plateforme répondent à des besoins inassouvis et que les lecteurs l’adoptent naturellement.

 

MC : Un des maillons clés de l’influence d’un auteur sur les réseaux est l’identification de ses lecteurs afin d’en faire naturellement les ambassadeurs de ses livres sur les réseaux sociaux. Quelle serait votre définition de l’influence pour un auteur ?

SV : Effectivement, bien comprendre quel est son lectorat et quelles sont ses attentes, c’est le préalable nécessaire pour un auteur dans la construction de ses communautés. Ensuite on croit souvent que l’influence naît d’une très large audience. Or, il n’y a rien de plus faux ! Être influent, c’est voir sa recommandation se traduire en action auprès de sa communauté. Il ne sert donc à rien d’avoir une page Facebook avec des milliers de fans si ces derniers ne commentent ou ne partagent jamais vos publications. Un auteur influent, c’est un auteur qui, lorsqu’il sollicite sa communauté, peut compter sur sa réactivité, qu’il s’agisse d’acheter le livre qui vient de sortir, de participer à un jeu, ou de soutenir une cause qui n’a rien à voir avec tout cela.

 

MC : Selon vous quel est l’apport des sites littéraires, les blogs, les forums, dans la diffusion des livres ?

SV : Ce sont des espaces très différents, et ils ont donc des fonctions très différentes. Les forums littéraires sont des lieux de discussion et de partage. Leurs membres se retrouvent très souvent autour d’un genre littéraire précis. Ils permettent donc de cibler les communautés de lecteurs par genre. Mais attention, il est très difficile de pénétrer ces communautés sans en être un membre actif. Seule possibilité : être un lecteur parmi les autres et partager son univers littéraire, ou dans le cas d’une maison d’édition, construire un partenariat éphémère et pertinent pour les membres de ce forum. Les blogs littéraires sont, eux, animés par un ou plusieurs chroniqueurs. Et c’est d’ailleurs les goûts et la personnalité de ces chroniqueurs qui poussent les lecteurs à les suivre. Un blog influent peut éveiller l’attention de sa communauté sur un titre en particulier ou le travail d’une maison d’édition. Mais cela ne remplacera pas une communauté de blogueurs plus modestes mais très actifs qui s’en feront entièrement les ambassadeurs. Le point commun entre tous ces outils, c’est qu’ils sont des espaces de recommandation puissants. Les gros lecteurs, les passionnés y trouvent très souvent l’idée, la suggestion qui fera leur prochaine lecture. Ils permettent ainsi à des titres et des auteurs moins connus d’émerger, tout simplement parce que les lecteurs qui les utilisent veulent aussi être des découvreurs !

 

MC : Entre 200 et 300 romanciers, essayistes, illustrateurs, dramaturges, scénaristes ou encore traducteurs-auteurs ont défilé samedi 21 mars à Paris dans les allées du Salon du Livre afin d’alerter l’opinion sur les menaces qui pèsent sur leurs métiers. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

SV : Il est extrêmement difficile pour un auteur d’envisager vivre de sa plume, comme il est très difficile pour bon nombre d’artistes de vivre de leur art. Cette situation a toujours existé et très souvent, on l’oublie. On oublie que les artistes vivaient le plus souvent protégés par des mécènes ou à l’abri d’une petite rente. Rousseau a lutté sa vie durant pour son indépendance en copiant des pages et des pages de musique. Claude Simon a toujours affirmé que, sans la faible rente que lui avait apportée un héritage, il ne serait pas devenu écrivain. Ces considérations faites, les revendications des auteurs sont justes sur de très nombreux points. Lorsqu’ils ne sont pas invités pour promouvoir leur livre mais pour animer une manifestation ou pour leur expertise, pourquoi les auteurs ne seraient-ils pas rémunérés ou défrayés ? Pourquoi seul 7% du prix d’un livre revient à l’auteur, comme c’est très souvent le cas ? Lorsqu’il n’y a pas de possibilité de mise en scène de l’artiste comme dans la musique ou le spectacle, la rémunération semble se rétrécir comme peau de chagrin. C’est un triste constat.

 

MC : Aux Etats-Unis, selon une étude de Digital Book World 2015, les auteurs qui gagnent le plus d’argent sont les auteurs dits « hybrides », c’est-à-dire ceux qui publient en même temps chez un éditeur et en autoédition. Pourquoi ?

SV : Effectivement, les auteurs américains en parlent beaucoup sur le net, via leurs blogs notamment. Très souvent, ils montrent, chiffres à l’appui, l’avantage financier d’être à la fois autoédité et édité par un éditeur. Cependant, ils n’entrent pas dans une analyse précise qui permettrait de mieux comprendre ces chiffres. Selon moi, plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation : grâce à l’autoédition, les auteurs publient plus. Ils trouvent des débouchés pour des livres qu’ils n’auraient certainement pas publiés autrement, des livres dont le genre et le style conviennent mieux à l’autoédition ; d’un autre côté, ils bénéficient, en tant qu’auteurs édités, de la renommée, du sérieux et du travail entrepris par la ou les maisons d’éditions qui les publient. On entre ainsi dans un cercle vertueux où l’auteur assoit sa légitimé et sa renommée grâce aux maisons d’éditions tout en générant des revenus plus larges grâce à ses titres autoédités (70% pour l’auteur).

 

MC : Les éditions ActuSF ont décidé de lancer un projet de crowdfunding (financement participatif), pour mener à bien la publication d’une monographie portant sur Philip K. Dick, probablement l’auteur le plus connu de la science-fiction américaine. Que pensez-vous de ces nouvelles pratiques qui trouvent des résultats concrets ?

SV : Le crowdfunding en littérature fonctionne actuellement, il est vrai, essentiellement pour des auteurs et des titres qui ne sont plus réédités ou pas édités du tout en France. Les projets de crowdfunding ont besoin de fédérer autour d’une personnalité déjà connue du grand public. Comment impliquer « le plus grand nombre » sur des projets qui ne le concernent pas ? Un auteur inconnu ne peut pas émerger via le crowdfunding : il fait financer son livre par ses proches et le début de communauté qu’il est parvenu à se constituer. Mais si son projet de livre voit le jour, il reste, lui, confidentiel.

D’un autre côté, une maison d’édition qui ferait financer les livres de primo-romanciers via le crowdfunding prendrait-elle effectivement des risques ? On se retrouverait alors dans un modèle qui tient plus de la souscription : on produit le nombre d’exemplaires prépayés par les lecteurs qui ont souscrit au livre et avancé les fonds.

Alors oui, ces nouvelles formes de financement participatives doivent innover pour soutenir la création contemporaine et les jeunes créateurs, ce qui a été peu le cas dans le domaine littéraire jusqu’ici. Une solution serait peut-être de proposer le projet avant le livre en permettant au lecteur de suivre son élaboration, d’accompagner l’auteur en repérage, et d’inventer de nouvelles contreparties qui sont effectivement désirables pour les communautés littéraires engagées… Il reste encore beaucoup de choses à inventer, mais je suis persuadée qu’elles vont émerger !

 

MC : Vous avez été interviewée récemment par Thibault Delavaud sur la question : Comment réussir le lancement de son livre ? Selon vous, comment d’une façon générale peut-on réussir sa communication quand on décide de tout miser sur les médias sociaux ?

SV : Les réseaux sociaux sont avant tout une histoire humaine, une histoire de liens et de partage. Il est impossible d’y réussir à sensibiliser à ce que l’on a à offrir sans avoir compris cela. Il faut donc être ouvert au dialogue, à la critique, avoir envie de créer du lien, s’intéresser à ce que les autres font et disent. C’est ainsi que l’on comprendra exactement à qui s’adresse notre communication et qui sont ces personnes que l’on souhaite toucher. On sera alors capable de connaître leurs centres d’intérêt, de les situer parmi d’autres communautés grâce à leurs interactions, puis de retracer l’ensemble du parcours qu’ils effectuent sur le web. Ceci pour la partie sociale des réseaux. Mais il y a également une partie réflexive, un nécessaire retour sur soi. Quel est notre ADN et qu’est-ce qui nous différencie ? Quelle image souhaite-t-on renvoyer ? Quels objectifs souhaite-t-on atteindre via cette communication ?

Lorsque ces deux composantes sont bien mises en place, c’est-à-dire que la pratique des réseaux a permis non seulement de se définir, mais aussi de mieux comprendre ses cibles, il reste simplement à s’amuser. Plus un auteur (ou son éditeur !) sera créatif et authentique dans sa communication sur les réseaux, plus il prendra du plaisir, et plus ce sera partagé par son cercle, puis par le plus grand nombre.

 

Entretien réalisé par Marc Michiels pour Le Mot & la Chose

 

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A propos du rédacteur

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Né en 1967, Marc Michiels est un auteur de poésie visuelle. Passionné de photographie, de peinture et amoureux infatigable de la culture japonaise, il aime jouer avec les mots, les images et la lumière. Chacun de ses textes invitent au voyage, soit intérieur à la recherche du « qui » et du « Je par le jeu », soit physique entre la France et le Japon. Il a collaboré à différents ouvrages historiques ou artistiques en tant que photographe et est l’auteur de trois recueils de poésies : Aux passions joyeuses (Ed. Ragage, 2009), Aux doigts de bulles (Ed. Ragage, 2010) et Poésie’s (2005-2013). Il travaille actuellement sur un nouveau projet d’écriture baptisé Ailleurs qui s’oriente sur la persévérance du désir, dans l’expérience du « pardon », où les figures et les sentiments dialoguent dans une poétique de l’itinéraire.