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Notes de chevet, Sei Shōnagon

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) le 17.01.15 dans La Une CED, Les Chroniques, Côté Arts

Notes de chevet, Sei Shōnagon

Notes de chevet, Sei Shōnagon, illustrées par Hokusai, éd. Citadelles & Mazenod, coll. Littérature illustrée, 300 ill. couleur, reliure japonaise, sous coffret, octobre 2014, 352 pages, 179 €

« Un bateau dont la voile est hissée.

L’âge des gens.

Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver ».

Note 132 : Choses qui ne font que passer, in. Notes de chevet, de Sei Shōnagon

Nées en 1936, les éditions Mazenod ont développé pendant une vingtaine d’années une exceptionnelle collection monographique, « La Galerie des hommes célèbres », dirigée par des hommes comme Raymond Queneau, Maurice Merleau-Ponty. En 1984, François de Waresquiel fait suite à Lucien Mazenod à la tête des éditions, rebaptisées quelques années plus tard Citadelles & Mazenod. La maison compte aujourd’hui une douzaine de collections, parmi lesquelles Les Phares, Livres exceptionnels, L’art et les grandes civilisations, Art et Nature… Il faut rendre hommage à la vision du monde et des arts des éditions Citadelles & Mazenod, qui témoigne d’un souci continu de qualité et d’exigence. A ce titre, voici encore un magnifique titre, paru dans la collection « Littérature illustrée », les Notes de chevet, relié à la japonaise, appelé aussi Ito Kagari Toji au Japon.

Son auteur, une femme, Sei Shōnagon, est comparée dans son pays à la fleur rose du cerisier. Elle vécut au 10e siècle de notre ère et ses écrits sont toujours d’une sève et d’une vitalité de jeune fille ! D’origine lettrée à l’époque où Kyôto s’appelait Heiankyô, c’est-à-dire « Capitale de la Paix », elle fut durant vingt ans dame d’honneur de la princesse Sadako. Avec l’auteur du Roman de Genji (ou Dit du Genji), Noble Dame Murasaki, Sei Shōnagon est l’une des plus illustres femmes écrivains du Japon.Notes de chevet, littéralement « écrits intimes de l’oreiller » appartient au genre sôshi. Ces notes intimes proposent, sous forme de tableaux, de portraits, des impressions sur ce que l’auteur aime, déteste, sur ce qui ne s’accorde pas, sur les gens qui imitent ce que font les autres, sur des choses difficiles à dire, sur des choses auxquelles on ne peut s’abandonner, sur des choses rares, et qui sont autant de récits, délivrés à l’aune du clan Fujiwara, au moment de la plus haute splendeur de la civilisation du Heian.

Hokusai, cet « artisan de l’image » comme il aimait à se qualifier, naquit à Edo, capitale de l’Est aujourd’hui nommée Tokyo. Il connut une carrière de 74 ans, qui fait de lui le maître incontesté de l’estampe ukiyo-e. Dès ses débuts, Hokusai s’affranchit de ses maîtres pour créer sa propre école. Est-ce la même humilité, l’intérêt pour autrui qui ont guidé le libre pinceau d’Hokusai dans l’accompagnement de cette œuvre, de cette incarnation de l’âme Japonaise que sont les Notes de chevet ? Ou est-ce dans l’immédiate acuité de ces deux regards, guidée par une réelle autonomie de deux visions, et qui dépasse largement l’exploration psychologique de leur simple état d’êtres humains, qu’il nous faut voir la prouesse alchimique de cette rencontre entre ses images à lui et son texte à elle ?

« Le mot zuihitsu, signifie littéralement au courant du pinceau ; il s’agit d’esquisses dont l’auteur a jeté sur le papier, en laissant aller son pinceau, toutes les idées, les images, les réflexions qui lui sont venues en l’esprit, et c’est bien ainsi, d’après Sei, elle-même, qu’elle écrivit ses Notes ». Tous deux dépeignent le monde qui les entoure, sans aucune intention moralisatrice et fixe, dans un espace d’entre les choses sans cesse mouvant. Aussi bien dans la forme du langage que dans l’expression picturale, l’essentiel même de la tension poétique, à savoir la question de la beauté, est celui de l’esthétique du « ma » dans le prolongement indéfini du regard, du fragment, de l’espace et du temps.

Mais que savons-nous vraiment sur l’auteur et la raison de ses écrits ?

Sept siècles séparent Sei Shōnagon (vers 965-apr. 1013) et Hokusai (1760-1849). Pourtant, il est troublant de constater leur si proche complicité humaine et narrative dans le caractère sacré des tableaux qu’ils dépeignent. Ils nous invitent à découvrir une autre manière de sentir le monde, le paysage, la nature, les saisons, la place des hommes simples ou ceux de la cour impériale, courtisanes et poètes, dans un univers en perpétuelle évolution.

Dans les anciens textes, l’ouvrage que l’écrivain nous laisse est appelé Sei Shōnagon no ki, « Le livre de Sei Shōnagon ». A l’impératrice qui lui montrait un jour une grosse liasse de papiers en demandant ce qu’il faudrait en faire, elle répondit qu’elle en ferait un makura, que l’on traduit habituellement par le mot « oreiller » ; mais ce mot désigne aussi une pièce en bois plus ou moins rembourrée et qui soutient la nuque pendant le sommeil.

L’auteur écrit dans la Note 162 : « je me mis en devoir d’employer complètement cette inépuisable quantité de papiers en y notant les faits étranges, les choses du passé… Règle générale, j’ai apporté ce que j’avais observé de curieux dans le monde ; mais j’ai choisi, de même, ce qui me semblait de nature à montrer la splendeur des hommes, et j’ai parlé encore de poésie, des arbres, des herbes, des oiseaux et des insectes ».

André Beaujard, traducteur des Notes de Chevet revient longuement sur l’écriture de ses fragments, du caractère moderne de ses interrogations et l’on comprend mieux toute l’insondable difficulté pour le traducteur, d’être au plus près de la vérité des sentiments d’une « vie intimiste » définie par le rôle affirmé d’une femme écrivain. Les Notes de chevet furent souvent transcrites avant d’être imprimées pour la première fois, au 18e siècle, c’est-à-dire plus de 600 ans après leur apparition : « De la pierre qu’il tient entre ses doigts, seule une facette ne s’éteindra pas », André Beaujard.

« Se coucher seule dans une chambre délicieusement parfumée d’encens.

S’apercevoir que son miroir de Chine est un peu terni.

Un bel homme, arrêtant sa voiture, dit quelques mots pour annoncer sa visite.

Se laver les cheveux, faire sa toilette, et mettre ses habits tout embaumés de parfum.

Même quand personne ne vous voit, on se sent heureuse, au fond du cœur.

Une nuit où l’on attend quelqu’un.

Tout-à-coup, on est surpris par le bruit de l’averse que le vent jette contre la maison », Extrait Note 18 : Choses qui font battre le cœur.

« … Quand le vent, tout-à-coup, pénètre dans la maison, par des interstices des fenêtres en treillis, finement tamisé comme les lattes de ces fenêtres avaient été disposées à dessein, on ne peut croire que ce soit là ce même vent qui soufflait en tempête… », Extrait Note 91 : Le vent

La poésie devient alors présence dans un siècle qui façonne nos consciences par les images. Ce livre miraculeux est une conscience en équilibre par le regard partagé de deux visions d’un monde, à l’écoute de mille et une fragrances, de mille et mille éclats de la vie quotidienne. Vision, si on sait la lire, entre les formes de la vie, entre les doutes du temps ; qui doit être l’apparition de la beauté comme une lueur d’espoir contre les vents contraires qui nous font courber l’échine, qui doit rentrer dans les maisons et doit nous rappeler que la beauté est en chacun de nous. Une lueur vive, brillante, quand nous voyons au loin, dans les nuages du ciel, les fantômes de nos rêves voyager d’un monde à l’autre.

Notes de chevet, on l’aura compris, est un livre indispensable, auquel répondrait ce Poème d’adieud’Hokusai :

« Aux parfums colorés des fleurs,

caractère sacré de la nature.

Par le trait vif et délicat,

des pinceaux noirs de l’écrit.

Tels des fantômes,

nous foulerons d’un pas léger les champs d’été ».

 

Lecteurs, le monde est beau à celui qui sait le partager d’un pas léger !

 

Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot et la Chose

 

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Dame Sei Shōnagon (清少納言) est une femme de lettres japonaise, auteure des Notes de chevet, l'un des deux chefs-d'œuvre de la littérature japonaise de l'époque de Heian (IXe ‑ XIIe siècles).

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A propos du rédacteur

Marc Michiels (Le Mot et la Chose)

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Né en 1967, Marc Michiels est un auteur de poésie visuelle. Passionné de photographie, de peinture et amoureux infatigable de la culture japonaise, il aime jouer avec les mots, les images et la lumière. Chacun de ses textes invitent au voyage, soit intérieur à la recherche du « qui » et du « Je par le jeu », soit physique entre la France et le Japon. Il a collaboré à différents ouvrages historiques ou artistiques en tant que photographe et est l’auteur de trois recueils de poésies : Aux passions joyeuses (Ed. Ragage, 2009), Aux doigts de bulles (Ed. Ragage, 2010) et Poésie’s (2005-2013). Il travaille actuellement sur un nouveau projet d’écriture baptisé Ailleurs qui s’oriente sur la persévérance du désir, dans l’expérience du « pardon », où les figures et les sentiments dialoguent dans une poétique de l’itinéraire.