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Les LeLe ou Bashilele du Kasaï en RDC et le Pangolin (par Joseph-Hubert Makutu)

19.08.20 dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

Les LeLe ou Bashilele du Kasaï en RDC et le Pangolin (par Joseph-Hubert Makutu)

Un clin d’œil anthropologique qui nous invite à revisiter le passé d’une société initiatique traditionnelle : Les Lele du Kasaï en RDC (ex-Zaïre) # s’inspirer du passé et tendre vers l’avenir !

 

1. Les Lele du Kasaï en RDC

Chez les Lele du Kasaï, une société bantoue de l’actuelle République Démocratique du Congo (ex-Zaïre), les relations rituelles des hommes avec les esprits de la nature se font par l’intermédiaire des animaux sauvages. Puisque les esprits, chez les Lele, habitent les profondeurs des forêts. Ces esprits contrôlent la fertilité des femmes et la prospérité de la chasse, laquelle reste exclusivement masculine. Les esprits sont ainsi capables de retenir le gibier et faire dévier la flèche du chasseur. On trouve, ici, posé le statut des animaux sauvages en termes symboliques puisqu’ils sont associés étroitement à des esprits. Cette vision permet de comprendre aussi bien les interdits rituels de ce peuple que ses rites positifs dont la fonction principale et évidente est de maintenir de bonnes relations dans le Village, espace où vivent les humains, et la Forêt, domaine réservé aux esprits.

Cela dit et d’une manière générale chez les Lele, les Esprits-Animaux sont en premier lieu les créatures aquatiques. Il convient alors que les femmes, en particulier les femmes enceintes, les évitent. Par exemple la tortue, que les femmes s’abstiennent de consommer, est classée parmi les animaux-esprits et non parmi les animaux « Hama ou Ham », c’est-à-dire souillure. Elle se distingue des autres reptiles par sa carapace, mais en tant que créature munie de quatre pattes, son mode de reproduction ovipare est anormal pour les Lele.

 

2. Esprits et Souillures (hama-dégoûtants) dans une classification parfois incertaine

Les Lele tracent une frontière mouvante entre Animaux-Esprits et Animaux-Dégoûtants qui représentent la souillure (Hama). Prenons l’exemple du Varan d’eau (Varanus Niloticus) : cet animal amphibien a un statut ambigu. Il est de prime abord classé comme « Hama » puisque les Lele sont révoltés à l’idée de manger une créature ressemblant à un serpent, mais par ailleurs le même animal est classé parmi les Animaux-Esprits. En 1957, Mary Douglas, anthropologue, apporte une réponse en observant que le Varan d’eau occupe une position privilégiée comparable à celle du Petit Pangolin, lequel reste l’animal le plus fortement valorisé par cette ethnie bantoue.

Pourquoi le petit pangolin porte-t-il le nom de Kumu ou kum, ce qui veut dire Chef-Roi ? Par ailleurs, les femmes, et plus particulièrement les femmes enceintes, doivent s’abstenir de tout contact avec cette espèce alors qu’elles peuvent toucher mais elles ne doivent pas manger la tortue. En ce qui concerne les autres espèces aquatiques, elles peuvent les manger hors période de grossesse.

 

3. Le culte du pangolin (Kum ou kumu)

Le petit pangolin occupe le centre de la vie rituelle chez les Lele du Kasaï, en tant que complexe taxinomique.

La taxinomie est la science des classifications, utilisée en bactériologie, en botanique et en zoologie. Cela permet de regrouper les êtres vivants en fonction de leurs caractéristiques. Les principaux groupes taxinomiques sont : le règne, le domaine, l’embranchement, la classe, l’ordre, la famille, le genre, l’espèce. Nous sommes en présence de l’Animal-Esprit par excellence et non face à une créature dégoûtante (hama ou ham). Puisque chez les Lele, le petit pangolin transcende toutes les catégories.

« Dans nos forêts, disent les Lele, il y a un animal qui a le corps et la queue d’un poisson. Couvert d’écailles, il a quatre pattes et il grimpe dans les arbres ».

Le pangolin se retrouve associé à l’eau, principe de fertilité, comme le varan d’eau. Mais sa puissance symbolique est infiniment plus grande car ce mammifère-poisson est un habitant des arbres comme les oiseaux. En outre, il présente un caractère humain remarquable puisqu’il ne met « au monde » qu’un petit à la fois, contrairement aux autres espèces animales. Les bantous sont les peuples dont les expressions locutrices pour nommer ‘Un humain’ se terminent par Tou, to, n’tu – exemple : muntu ou mountou, moto…

Le petit pangolin est un véritable résumé de l’univers selon les Lele. Il cumule les propriétés des créatures aquatiques, célestes et terrestres. Il est aussi le représentant symbolique de la reproduction humaine bien « tempérée » dans un univers où la fécondité est innombrable, démesurée. Le pangolin devient l’opérateur dialectique (au sens de la méthode philosophique qui tente d’étudier et de résoudre les contradictions de la pensée et de la réalité) de la communication spirituelle. Puisque tout compte fait, par sa médiation, le village et la forêt, les humains et les esprits, entrent en relation de manière privilégiée. Il existe ici un écart très important entre le léopard (animal hama comme tous les carnivores) et le petit pangolin qui est le plus important des animaux-esprits.

Le léopard est classé dans la catégorie des sorciers, qui veulent le mal et jettent les mauvais sorts alors que le pangolin est l’ami des hommes puisqu’il est leur représentant métaphorique au sein du monde animal.

Le pangolin est le chef (kum ou kumu) parce qu’il favorise la fécondité des femmes. Il est le seul animal sensible à la honte (buhonyi ). Pour s’en convaincre, ne baisse-t-il pas la tête comme un homme qui évite de regarder sa belle-mère par respect coutumier ?

Par ailleurs, s’il se laisse capturer par les chasseurs, c’est parce qu’il le veut bien. Les Lele estiment ainsi que le pangolin, le chef, le roi, vient s’offrir au chasseur, à l’homme, de sa propre initiative. Il se laisse tomber des arbres et au lieu de s’enfuir, il s’enroule sur lui-même, immobile et le chasseur n’a qu’à attendre qu’il se déroule et sorte la tête pour le tuer. C’est donc bien en termes de sacrifice et sacrilège qu’il convient de comprendre la symbolique de cet acte.

 

4. Le modèle social du village traditionnel Lele et les Mbayi (se prononce mbaï) c’est-à-dire frère par la raison sociale !

Mbayi, le projet de la fraternité par la raison chez les Lele, est aussi à l’origine d’un véritable projet social. En effet, chez les Lele, les enfants nés, initiés à la même époque, sont frères par la raison (Mbaï). À ce titre, ils se doivent affection et loyauté. Entre eux, existe la plus grande familiarité. En revanche les relations, entre frères d’une même famille biologique, sont régies par un formalisme rigide et souvent conflictuel. Ils sont et resteront toujours « aîné et cadet » au sens de la méthode philosophique qui tente d’étudier et de résoudre les contradictions de la pensée et de la réalité.

Le groupe Mbaï, amis-frères d’obligation sociétale chez les Lele, n’a aucune racine biologique directe, à la seule exception des jumeaux. Ce groupe est purement culturel et rassemble faibles et forts, grands et petits, pauvres et riches…

Le concept Mbaï chez les Lele du Kasaï en RDC, c’est de reconnaître un homme comme son frère sans qu’il soit de même lignée biologique que vous-même. C’est honorer cette personne sans le connaître et l’aimer pour ce qu’il est sans l’avoir choisie personnellement. C’est peut-être là, la grande réussite et le tour de force de la fraternité initiatique chez les Lele.

Par ailleurs, on observe que même si cette fraternité est spontanée, elle n’est pas pour autant aveugle puisque le premier devoir d’un Mbaï à l’égard du groupe, c’est d’éviter l’ambiguïté. En sachant que cette relation fraternelle ne se construit pas sur la complaisance. Cette grande fraternité tient précisément à ce que les Mbaï subissent souvent les mêmes épreuves : certains héroïquement, d’autres humbles et discrets, parfois dans la résignation et le silence.

La symbolique du pangolin, trait d’union entre le monde des humains, habitants du village, et celui des esprits, habitants de la forêt, se corrèle également à cette fable Lele où l’on voit l’aigle et la tortue conclure un pacte de type Mbaï-frère par la raison sociale : ces deux animaux échangèrent ce qu’ils avaient de plus précieux, l’aigle donna ses plumes et la tortue sa carapace. Les plumes de l’aigle ne tardèrent pas à pousser, mais non la carapace de la tortue qui avait ainsi fait le sacrifice de sa vie. Chez les Lele, la tortue est un animal hors catégorie, sa carapace le distingue des autres reptiles. Munie de quatre pattes comme les mammifères, elle pond cependant des œufs. Cette fable tente aussi de résoudre les contradictions, un mélange d’influence du syncrétisme, en projetant la tortue dans la catégorie des ovipares aériens puisque tout compte fait, celle des animaux terrestres, reptiles et mammifères, lui convient parfaitement. Dans cette symbolique, la tortue et l’aigle échangent leur nature propre pour se ressembler socialement.

Cette image exalte l’idéal des frères par la raison qui, bien que différents par la naissance, groupe de parenté, clan matrilinéaire, riche ou pauvre, grand ou petit, beau ou laid, valide ou invalide, sont rapprochés de la manière la plus intime sur le plan social.

Si la tortue meurt par négation totale de ses liens de parenté représentés par le clan parental, c’est peut-être à cause du caractère trop « absolu » du projet MBaï. Dans la logique de cette pensée dualiste Lele, on retrouve la symbolique du pangolin « animal totem » chez les Lele. Cet animal est aberrant, du point de vue de Lele, dans la catégorie des mammifères car il porte des « écailles » comme les poissons, mais cet animal met bas ses petits, un à un, comme l’espèce humaine.

Le pangolin est à cet égard le trait d’union de la dualité Animalité / Humanité.

 

Joseph-Hubert Makutu


Joseph-Hubert Makutu est proviseur du Lycée des métiers Maryse Bastié à Limoges.

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