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L’Après-départ, par Clément G. Second

Ecrit par Clément G. Second 26.04.16 dans Nouvelles, La Une CED, Ecriture

L’Après-départ, par Clément G. Second

 

Il se retrouve à l’intérieur après avoir refermé avec soin en passant la main sur le lisse de la porte, façon instinctive de confirmer un nid pour deux à la fourche des murs. La nuit grise et l’amour appuyé et hâtif y flottent encore, comme leur lever au dernier moment, gestes gauches, bousculades et rires. Et lui se sent flotter avec, dans l’imminence du quotidien. Tous ces jours à venir où contrarier le retrait des chères traces – où faire que ce retrait bascule vers la mémoire du cœur par un renversement que la patience ourdit.

La nuit a été longue au fond, s’efforce-t-il de penser en s’asseyant près de la table, les yeux tournés vers la fenêtre mais distinguant mal au dehors à cause de la dernière pénombre. Repasser les heures les étire et les fixe dans un supplément de large, esplanade à rêver en maraudeur d’amour bien que la suite approche.

Cette suite n’est autre chose que l’attente, il le sait bien. Quel que soit le recours contre le vide résonnant. L’attente évasive qui fait durer sa mélopée de halte sans promettre d’autres étapes, lui réservant peut-être la solitude.

Il est assis depuis quelques minutes devant un deuxième café. À présent le jour doit s’être déclaré derrière l’écran massif des immeubles. Sa force tourne ici très lentement au clair par une modification qui se dérobe. Il s’est mis à écrire. Il vérifie la fidélité libre des mots, capables de remonter à leur guise jusqu’aux fines jointures de quiconque fait courir sa main sur la feuille.

Et son visage à elle se penche vers son épaule, blondeur ruisselante encadrée par la fenêtre du compartiment lorsque le train va s’ébranler. Il ne veut pas le retenir, voudrait juste le prendre entre ses mains pour un baiser. Le train, d’un à-coup presque violent de métal et de verre, a semblé figer toute chose à sa place. Le démarrage a suivi aussitôt, lenteur passant à l’accélération puis là-bas, vers la courbe du tunnel, le sourire aimé a disparu dans le flanc du convoi fonçant déjà sur la ligne de Paris.

À travers la ville laquée de lumières encore nocturnes, la voiture filait vers la gare. Leurs profils démentaient d’apparentes parallèles. Un baiser bref et elle était descendue précipitamment pour ne pas être en retard. Lui, cherchant à se garer plus loin du côté des taxis, n’avait pu soudain que piler et, claquant mal la portière, courir, la rattraper à toutes jambes dans l’étranglement des aiguilles, elle qui d’une démarche dansante s’en allait déjà vers sa vie à Saint-Ouen, pour tout lui dire enfin, ce qu’on n’avoue jamais sauf aux grandes croisées ou quand on va mourir. Lui tendre son sac de mots, d’aveux, de chants et de faiblesse, sac aux anses suspendues à la seconde urgente. Son éclat de soleil, sa source de survivre, son émoi inconnu, mon amour, nos regards l’un dans l’autre, que tout s’immobilise dans le temps fatigué nous laissant décider du départ !

 

Elle avait la douceur tranquille des revenus de loin qui l’avait traversé d’emblée, tendresse désabusée de migratrice fatalement circulaire. À la vie dilatoire et jouée d’avance, semblait-elle dire en silence, que reste au moins le rare et le précieux, la beauté inutile opposée à la fascination du répétitif, le geste même succinct qui croit encore à la merveille… Il lui lançait des signes, faisait le fou, dansait sur le quai sous son regard d’indulgence amusée, amoureuse, un peu endormie après leur nuit fragile.

Sous le faisceau des doigts la minceur du stylo a rejoint ses collines, le delta de ses hautes jambes, les lignes d’un visage dont quelques-unes deviendront rides que les marées de leurs chaleurs atténueront pourvu qu’ils s’aiment. Mais lui la voudrait tellement plus proche qu’il s’élance après son ombre souple, tentant de déjouer celles de la table, celles aussi qui encombrent sa tête, tâtonnant longtemps, la manquant toujours.

…Il a fini par saisir qu’ici ne se fondra jamais dans ce là-bas mais qu’il s’y accorde. Il songe longuement. La séparation, à mieux être scrutée, avoue sa part questionnable. La distance peut renforcer l’amour à contre-espace. Le début d’un courage à saveur un peu aigre lui est donné, qui le parcourt. Celui de revenir à temps de la plongée magique. De demeurer quoi qu’il en coûte de ce côté ardu mais vrai de l’existence.

Bientôt son tour à lui d’aller gagner sa vie – dit-on – parmi des côtoyés à ne plus regarder comme avant, mais avec dans les yeux la joie que son amour lui a laissé à répandre (il a hésité à l’écrire, ne croit pas qu’elle démentirait). Même si l’éloignement peut s’immiscer un jour en signant ou non sa venue d’un pourquoi.

 

Clément G. Second

 


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A propos du rédacteur

Clément G. Second

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Écrit depuis 1959 : poèmes (sortes de haïkus qu’il préfère nommer Brefs, sonnets, formes  libres), nouvelles, notes sur la pratique de l’écrit principalement.

Plusieurs ouvrages en cours ou achevés, parmi lesquels, en poésie,  Porteur Silence (2017 aux Éditions Unicité de François Mocaër), Encres de songerie (2018) et Ce qu’avoue la lisseur des choses suivi de Reprise (2020) chez le même éditeur..

Longtemps en retrait des échanges littéraires, a commencé en 2013 à collaborer à diverses revues pour l’ouverture et le partage : publications  dans Le Capital des Mots,  La Cause Littéraire, Décharge, 17secondes, Écrit(s) du Nord, Incertain regard, Lichen, Littératures brèves, N47, Neiges (site Landes), Nouvelles d’Harfang, Paysages écrits, Revue Pantouns, Terre à Ciel, Verso.

Réalisations avec Agnès Delrieu, photographe (revues, blog L’Œil & L’Encre http://agnesdelrieu.wix.com/loeiletlencre)

Proche de toute écriture qui « donne à lire et à deviner » (Sagesse chinoise), où « Une seule chose compte, celle qui ne peut être expliquée » (Georges Braque), et qui relève du constat d’Albert Camus : « L’expression commence où la pensée finit ».

 

Son blog : Carnets de flottaison CF. https://carnetsdeflottaison.blogspot.com/