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L’Apprenti sorcier, Histoire cosmique (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham 22.10.19 dans La Une CED, Ecriture

L’Apprenti sorcier, Histoire cosmique (par Patrick Abraham)

 

Pour François Augiéras. Pour Abdallah Chaamba. Pour un fortin dans le désert où un vieillard qui ne l’est pas encore aime un enfant qui ne l’est déjà plus. Pour un blockhaus et pour des fresques que ne contempleront jamais, peut-être, les habitants du jour. Pour des bergers – ô douceurs d’épaules !

Pour la splendeur ébène d’un batelier du fleuve Niger. Pour une caresse et un baiser dans un jardin de Nice ou de Taormina. Pour les rires et les larmes d’un garçon embobinant et narguant celui qui se croit naïvement son maître.

Pour la Vézère. Pour une grotte surplombant la Vézère. Pour un méditant assis dans cette grotte dont la débâcle vaut toutes les victoires. Pour un moine sur un chemin du Mont Athos – illuminé ou stupide ? Pour des icônes, images mentales, visions. Pour l’immensité du ciel africain.

Pour la tombe d’un cimetière où, comme à Larache, une paix sans limites m’a envahi (il faisait beau en ce matin d’automne ; j’ai déposé mes fleurs ; on nous a regardés avec suspicion, mon camarade et moi, dans un café du village). Pour des étreintes sous les étoiles. Pour la civilisation passée et future que ces étreintes autoriseraient, réinventeraient.

Pour les tableaux de Bissière – magicien ou truqueur ? Pour les tableaux de Louttre, fils de Bissière, né en 1926 comme Jean Sénac. Pour deux trajectoires exemplaires, deux éclatants désastres. Pour des voyages sans retour. Pour des départs sans regrets.

Pour une écriture singulière, précise, aux mille nuances. Pour ses si rares lecteurs. Pour leur fidélité. Pour des lettres admiratives ou d’admirateurs impubliées mais, je l’espère, dûment classées dans une bibliothèque de Périgueux. Pour Paul Placet, Jean Chalon, Claude Michel Cluny, José Correa.

Pour un soir d’hiver à Alger. Pour le rêve d’un jeune homme endormi sous un porche, enroulé dans une couverture : Français ? Arabe ? Kabyle ? d’une origine indécidable ? Pour une « maison de santé ». Pour un adieu au monde qui serait chant, extase joyeuse, prière. Pour une obstination à vivre et à construire une œuvre. Pour cette œuvre – à nulle autre pareille en son siècle.

Pour des cailloux reçus près de la porte de la Combe. Pour un village sans plaque commémorative ni souvenir.

J’ai été François Augiéras, une semaine entière. Grotte, blockhaus, sentier de montagne, oasis du Sahara, terrasse d’hôtel en Sicile, ferme virgilienne, trottoirs coloniaux, feu de camp en forêt, routes et collines du Périgord, refuge pour indigents, saisons, châteaux, petits ports grecs, pâtres, prêtres, marins, colonel à la retraite, romancier célèbre, voyous – j’ai tout connu.

Mort, me suis-je fondu dans l’ocre fragile d’une peinture sur bois ?

 

Patrick Abraham

 

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