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L’air du dehors, par Marianne Braux

Ecrit par Marianne Braux 28.03.18 dans La Une CED, Ecriture

L’air du dehors, par Marianne Braux

 

Ça veut sortir. Là, tout au milieu de soi, quelque part entre la gorge et le sexe, quelque chose de trop grand pour soi demande à voir le jour (lapsus, j’avais écrit « le dire »). On ne sait pas ce que c’est (à y réfléchir, il y a peut-être un terme pour ça, je le dirai le moment venu), on ne sait pas non plus de quoi ça aura l’air. On peut seulement se mettre à sa place, à la place de cette chose en soi, coincée sous la peau pour encore un peu de temps – on ne sait pas combien. En fermant les yeux, on peut imaginer ce qu’elle voit, la chose, et alors on voit du rouge. Un rouge sourd et battant, translucide, teinté ici et là d’ombres sans contours, qui parfois disparaissent. Un rouge… incubation (IN-CU-BA-TION, cela faisait des jours que je cherchais le mot !). C’est comme une série de beaux tableaux qui ramènent l’œil morne et expérimenté à un état d’avant la vie qu’on aurait oublié. La vision brûle un peu la cornée – on se demande si la chose au-dedans de soi a mal comme nous et si, elle aussi, elle prend plaisir à cette douleur. Car ce n’est pas une brûlure comme les autres ; c’est une brûlure saine, semblable à celle que fait une musique que l’on aime trop (une folie d’Espagne, une tarentelle), ou un poème, une phrase, sur la peau ténue de l’âme.

On l’entend et ça nous touche avec ses doigts ardents et ses lèvres torrides. Ça nous lèche avec sa langue en feu. On n’est pas sûr de pouvoir supporter ce jeu auquel on n’avait pas consenti, mais on s’y prête quand même. On accuse les coups sans rien dire, et puis on en redemande. En boucle, on rejoue la musique et on rejoue le poème, la phrase, à perdre la raison. On voudrait, dans cette répétition maniaque d’où le monde semble exclu, en épuiser le sens, mais on n’en vient jamais à bout : il reste toujours quelque chose : l’empreinte ineffaçable des doigts de la phrase, de son baiser sur notre âme, logée quelque part entre la gorge et le sexe et réclamant, lorsqu’il n’y a plus de place pour son corps tuméfié et que la chaleur est devenue intolérable, à prendre l’air du dehors.

Alors, il faut céder (s’aider) et ouvrir les portes. Si l’on n’a pas trouvé la clef, on peut toujours pleurer. L’eau des larmes apaisera, pour un moment au moins, l’âme empourprée et suffocante, cette chose au dedans soi dont on ne sait rien si ce n’est qu’elle a une vie propre et qu’on en est le gardien.

 

Marianne Braux

 


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A propos du rédacteur

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Marianne Braux est docteure en littérature française et enseignante de français à Adélaïde en Australie.