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A propos de Bricolage(s) de Camille Révol, trois questions écrites à Jean- Michel Martinez directeur et fondateur des Editions Louise Bottu (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 15.10.25 dans La Une CED, Entretiens

A propos de Bricolage(s) de Camille Révol, trois questions écrites à Jean- Michel Martinez directeur et fondateur des Editions Louise Bottu (par Philippe Chauché)

 

Philippe Chauché – La Cause Littéraire : à la une de votre catalogue

sur le site de votre maison d’édition, vous faites figurer cette citation de

Nietzsche : « L’auteur doit céder sa place à son œuvre ». Camille Révol

est l’auteur annoncé de Bricolage(s), mais existe-t-il vraiment ? ou cache-

t-il un autre nom, celui du véritable auteur du livre, qui dissimule son

identité réelle ? On connaît le cas d’auteurs qui ont pris des noms

d’emprunt différents pour plusieurs de leurs livres. Trouve-t-on aux

éditions Louise Bottu un ou plusieurs auteurs qui signent de pseudonymes

différents leurs livres ?

Jean-Michel Martinez – Louise Bottu : On prend un pseudonyme pour

diverses raisons. Chez les gens qui écrivent c’est chose courante. Aux

éditions Louise Bottu, certains auteurs en ont adopté un, d’autres signent

de leur nom d’état civil (vous noterez que je ne dis pas leur « vrai » nom

ou leur nom « réel »).

Qu’un auteur écrive sous son nom d’état civil ou sous pseudonyme, cela

ne change pas grand-chose. Dans la mesure où il conserve le même nom

pour tous ses ouvrages (nom d’état civil ou pseudonyme), il est

identifiable. S’il acquiert une certaine notoriété on connaitra son style, ses

tics, il deviendra un produit, une marque commerciale, on attendra de lui

quelque chose de précis, des thèmes, une manière, sa patte, on le

distinguera comme on distingue un yaourt d’un autre yaourt, même si

tous les yaourts sont fabriqués en série dans la même centrale avec le

même lait, l’étiquette et la publicité feront le reste.

La question de la pérennité du nom (d’état civil ou pseudonyme) par

lequel l’auteur signe est plus intéressante. Ou plutôt la question de la

multiplicité des pseudonymes (ou des hétéronymes, si l’on évoque

Pessoa qui allait beaucoup plus loin en la matière. L’hétéronyme étant le

stade suprême du pseudonyme, pour paraphraser Lénine).

Le choix de pseudonymes multiples est une démarche qui consiste à

mobiliser de nouvelles ressources pour l’auteur, aller chercher en lui

autre chose que ce qu’on attend de lui, éviter la routine, se

renouveler. La tentative n’aboutit pas toujours, il n’est pas si facile de

s’oublier, d’oublier le cliché que les autres font de soi, dont on est

imprégné au point de s’y identifier.

Par le biais du pseudonyme, ou de la multiplicité des pseudonymes, il ne

s’agit pas de se cacher ou de se faire chercher dans un narcissique jeu de

piste, de créer un mystère puéril, mais de débusquer en soi l’autre que

l’on est aussi. Et de ne sanctifier ni l’auteur, ni l’œuvre, les deux n’étant

rien de plus que deux éléments parmi d’autres d’une situation complexe

où hasard et jeu jouent le rôle principal.

Parce qu’en voyant dans le pseudonyme ou sa multiplicité le moyen pour

l’auteur d’échapper à son image convenue, on reste encore dans le

domaine étroit de l’individu et de sa création. Milan Kundera, dans L’Art

du roman, ou ailleurs, je ne sais plus, aurait préféré, pour plusieurs

raisons toutes pertinentes, que les auteurs ne signent pas leurs œuvres.

D’ailleurs, aucune œuvre peinte orthodoxe ou copte n’est signée. Dans

l’Antiquité, l’originalité n’est pas un critère et l’écriture n’apparaît pas

comme un acte personnel. On peut reproduire librement un livre, et

même en modifier le contenu. Bien plus tard, avec la Révolution de 1789

et l’irruption de l’individu sur la scène publique, viendra l’auteur bourgeois

propriétaire de ses écrits, un auteur qui a désormais des droits.

Si l’ambiguïté ne manque pas de charme, l’anonymat lui est supérieur.

Vous rappelez opportunément la citation de Nietzsche qui figure à la

rubrique « catalogue » des éditions Louise Bottu, « L’auteur doit céder sa

place à son œuvre ». Sauf le respect que je dois à Nietzsche, je serais

tenté de réduire la formule et d’écrire « L’auteur doit céder sa place ». À

qui ? À un pseudonyme changeant. À une ombre furtive. À l’anonymat.

À personne.

 

Philippe Chauché – La Cause Littéraire : Vous avez créé votre maison

d’édition en 2013, cette année vous nous précisiez que l’aventure Louise

Bottu était née du goût des mots, pas forcément de la littérature. C’est

toujours le même principe que vous appliquez à votre maison d’édition.

Vous ne publiez, pas forcément de la littérature ?

 

Jean-Michel Martinez – Louise Bottu : La littérature est un concept

difficile à cerner. Sa définition a évolué, et elle n’est pas universelle.

Qu’est-ce qui relève de la littérature ? Qu’est-ce qui en est exclu ? Je ne

me pose pas ces questions. Je ne me demande pas si un texte est

labellisable « littérature ». Je ne crois pas qu’il y ait de bons ou de

mauvais sujets, des sujets nobles ou triviaux, des sujets littéraires ou non

littéraires, mais seulement une manière de les traiter. Et pour ce faire, le

jeu avec les mots. Le mot est concret. Il est composé de lettres. Il a un aspect, un son, parfois un sens, souvent plusieurs ou pas du tout.

On dira que la littérature est faite de mots. Sans doute. Mais dans bien

des cas des mots réduits à des prétextes pour faire passer une idée, un

sentiment, que sais-je encore. Des mots relégués au rang de passeurs,

transporteurs, colporteurs.

 

Philippe Chauché – La Cause Littéraire : Votre catalogue a pris de

l’ampleur, il s’est étoffé, avec quelques auteurs fidèles et des anonymes,

enfin qui ne le restent pas longtemps, qu’est-ce qui vous pousse à publier

tel ou tel livre, plutôt que tel autre ?

 

Jean-Michel Martinez – Louise Bottu : Le goût et la surprise. L’humeur

du jour. Sans doute beaucoup de préjugés et de déterminismes dont je ne

suis pas conscient. Et aussi, pour en revenir à la question précédente,

l’évidence d’un travail sur les mots, ou mieux, d’un jeu avec les mots. Et

bien entendu le plaisir pris à lire les textes reçus.

Mais ce n’est là que bavardage (rien de définitif) d’un petit éditeur qui,

avec quelques amis et les auteurs qui lui font confiance, en tâtonnant, en

se trompant, en se trompant mieux, cherche à faire vivoter une maison

confidentielle, Louise Bottu, et saisit toutes les occasions de lui faire de la

publicité.

 

 

Philippe Chauché – 19 septembre 2025.

 

photographie choisie ©Daniel Cabanis


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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com