Soulages au Louvre, Dir. Alfred Pacquement (par Matthieu Gosztola)
Soulages au Louvre, Dir. Alfred Pacquement, Gallimard/Musée du Louvre Éditions, novembre 2019, 166 pages, 35 €

Peut-on, comme nous invite à le faire Soulages au Louvre, rapprocher les tableaux de Soulages – qui font partie des plus franches efflorescences de la modernité – des autres œuvres du Louvre ? Oui, si l’on garde à l’esprit que les séparent de nombreuses « mutations des structures matérielles et des systèmes de valeurs qui modifièrent de façon radicale le rapport de l’artiste à la société et la fonction assignée à la création artistique », ainsi que le précise Georges Duby dans un texte paru en 1980 dans les Cahiers du MNAM.
Du reste, face à Bernard Ceysson, le peintre affirma avec force ne pas s’inscrire dans la mouvance d’un Picabia : « [I]l n’y a eu de ma part aucune volonté de rupture. […] Je n’ai jamais eu non plus l’intention de faire du nouveau ». Bien au contraire, l’œuvre de Soulages est, rappelle Alfred Pacquement, « nourrie de ses rencontres d’adolescence » ; il la bâtit en « puisant ses sources dans des époques lointaines plutôt que chez ses contemporains ».
Ainsi la peinture rupestre d’un bison, datant du magdalénien inférieur (entre 15500 et 13500 av. J.-C.), et appartenant à la grotte d’Altamira (Santillana del Mar, Espagne).
Ainsi les menhirs gravés révélés au musée Fenaille de Rodez.
Ainsi les Zurbarán et les Courbet du musée Fabre.
Ainsi La Jeune Fille endormie de Rembrandt, dessin au pinceau et lavis conservé au British Museum, qui permet à Soulages de prendre conscience de la véracité d’une assertion que Starobinski confiera à L’Œil vivant : « L’œuvre, je dois la faire parler pour lui répondre ».
Dans un entretien avec Pierre Encrevé figurant dans le catalogue de l’exposition « Soulages, l’œuvre imprimé » (Dir. Marie-Cécile Miessner, Bibliothèque nationale de France, 27 mai-31 août 2003), le peintre, disert, montrera combien il ne serait guère hasardeux, ou même simplement aventureux, d’avancer que toute son œuvre naît de la cuisse de La Jeune Fille endormie : « [M]on amour pour Rembrandt est né d’un lavis dont j’ai vu la reproduction quand j’avais seize ans dans un petit opuscule publié par la radiodiffusion scolaire – il n’y avait pas la télévision à l’époque. En même temps que l’émission, paraissait une petite revue. Je n’ai jamais entendu l’émission qui correspondait, mais j’ai vu la revue. Il y avait la reproduction d’un lavis de Rembrandt […] qui a été décisive pour moi. […] C’est un lavis qui représente une femme à demi couchée en robe d’intérieur, et un jour (j’aimais beaucoup ce lavis), j’avais laissé cette revue ouverte sur ma table, il y avait du désordre, un cahier en avait recouvert une partie et cachait la tête de la femme, ce qui fait que, brusquement, je me suis mis à aimer ce que je voyais beaucoup plus encore que le lavis tout entier. Il suffisait de cacher juste une petite partie de ce lavis et brusquement, ce qui était les plis d’une robe n’était que des coups de brosse. Il y avait un rythme qui naissait, beaucoup plus apparent que lorsque ces coups de brosse étaient représentatifs d’un pli. Il y avait des clairs qui changeaient parce que la densité, le rythme des coups de brosse, les modifiaient, et je trouvais cela très beau ».
Matthieu Gosztola
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