Nous sommes à peine écrits, Chemin vers Egon Schiele, Matthieu Gosztola
Nous sommes à peine écrits, Chemin vers Egon Schiele, février 2015
Ecrivain(s): Matthieu Gosztola Edition: Recours au poème Editeur
Avec en exergue cette citation de Gil Jouanard : « Si le monde veut être vu, s’il veut être senti, écouté et touché, goûté et pressenti et deviné, c’est qu’il ne s’est pas encore fait à l’idée de nous perdre » (dans Le Goût des choses). L'ensemble poétique de Matthieu Gosztola rassemble de courts textes posés sur la page comme un désir de laisser une trace, peut-être celle d’un visage impossible à effacer, pour :
– Tenter de capter un regard, un sourire, garder ce visage qui n’a pas besoin de mots, quelque chose ou plutôt quelqu’un qui a disparu à jamais, « La vie du visage est intacte /Que le poème l’a traversée ».
– Chercher à retrouver une part de l’autre, quelque chose qui parle d’elle, et attendre peut-être un retour improbable, avec tous les désirs pour déplacer le temps qui fuit et nous prend tout, « chercher les mots/pour t’entourer/et faire que le miracle abolisse ».
Il y est question de mourir et de vivre, dans cet ordre, il y est question de ces rêves qui tiennent seuls et nous gardent en eux seuls, « se souviendront de nous », « ta mort a rendu la vie un peu/Folle d’épouvante ».
Il s’agit d’en faire bon usage de toute cette folle épouvante, prendre au sérieux le moment plutôt que le tout de vie, dans la douceur et la jouissance :
« Nous avons été un matin/A côté du monde /Dans l’éblouissement /D’aimer ».
L’absente inscrit ainsi une présence dans nos vies, présence obsédante, permanente, une éternité d’amour, chacun de ces très courts poèmes sont comme des éclats de soleil, pour recréer une trace indélébile dans le cœur du poète, pour nous la donner à lire, pour fixer par petites touches entêtantes le souvenir de celle qui a disparu et ne reviendra pas mais dont le visage est partout.
Trace permanente partout où on met nos pas, sur l’herbe, dans le ciel, dans la neige, la pomme, les coraux, le sable, le bruit même « les roues d’un vélo /Froissant le creux des pierres », le vol d’un papillon, l’œil rouge d’un grillon : « Ton absence fendille chaque/Mot/Que je risque hors de moi ». Et le visage de l’aimée par sa présence multipliée recrée en nous celle de tous nos absents.
La seconde partie appelle l’acceptation, le fragile de la vie. Quand les poèmes s’allongent, ils emportent le souvenir, même si « certains silences/à la nuit tombée/glissent sur la mer ». Le blanc encore inonde la page, les espaces entre chaque texte glissent dans la présence forte du silence, d’une neige métaphorisant au possible la douleur de l’absence et son dire difficile.
La vie revient pourtant en force dans les désirs de Gabrielle qui « traverse une mort inventée ». La vie est plus forte avec ses désirs de couleurs, le bleu des volets qu’elle veut repeindre, l’intensité du vert des arbres « pour que tu sois un reflet d’opale. Qui ne portera plus tes chagrins ».
Visage et silence omniprésents se confondent, « ton visage / arrache la langue du malheur » (p.119), « ton visage /sera à jamais ce qui vient » (p.123).
Ce visage aussi éblouissant que la lumière du jour ou celle du « cerisier », aussi fragile que le silence dont il est plein, blancheur de ce qui est dans le tout infini. Lueur toujours même dans le tard de la nuit, ce visage raconte à jamais ce qui reste.
« Le visage est un silence clignotant ».
Dans l’évidence de tout ce silence, seul demeure le visage de l’aimée perdue et alors que la respiration repart, que le cœur de nouveau reprend sa place dans la poitrine de l’endeuillé, la parole s’allonge et se libère sur la page, un instant.
L’image obsédante de ce visage est sur chaque page, elle inscrit la disparue dans une temporalité retrouvée, celle du poète et la nôtre. Le contrat est rempli, la naissance du texte a donné lieu à une continuité de l’être et Nous sommes à peine écrits justifie qu’on prolonge notre lecture de chaque être cher qui disparaît.
« Il y a des instants qui sont
Somptueux par amour
D’autres qui nous laissent
Attendre toute la vie »
Marie-Josée Desvignes
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