Mouvement de l’entendeur de voix (1er écrit d’hôpital) (par Julien Quittelier)

Car je suis le maso des couplets psychotique,
J’aboie et je me mords en usant de l’ennui,
Et j’ai pitié de moi partout où chaque lit
Me renvoie à l’asile en chien rongé de tique
Bouffant mon os de mort et pleurnichant phallique.
Sans trop savoir, je pense… et je pense un seul mot,
Je ne vois plus l’orgueil des douleurs personnelles,
Je vis dans le Paris des crapauds et des pelles,
J’empeste le tabac, cinquantième mégot,
Sans trop savoir, je pense… et je pense un seul mot :
Je suis le nouveau Christ et je bave l’hostie,
Comme tout agonise aimerais-je un mouroir
Que j’en ferais l’aurore et l’ultime savoir
Où tous devineraient juste avant l’aporie
Dans les sueurs de vin et les baves d’hostie :
La révélation… Je suis l’homme pour qui
Rien n’est plus désirable, au fond j’avouerais même
Que je suis l’impassible en proie au mot suprême,
Je suis l’irréversible au sens d’un cœur fleuri
Dont la graine s’enflamme en compulsif lazzi.
Je suis l’inadmissible en crevant littéraire,
Le poids de ma bêtise écrase mes poignets,
Je suis l’homme banal des christiques fumets
Que l’art nauséabond frappe de cimetière ;
Je suis l’inadmissible en crevant littéraire ;
Je suis l’imperfectible et je crève en pensant,
Ma morale bourgeoise aux feintes mendiantes
Me donne l’air-babil des philos de brocantes,
Voici : la basse-cour mentale du pensant :
Je suis l’imperfectible et je crève en pensant ;
Je suis l’homme sans bible et je pense ma crève,
Qu’il est saint de crier sans susciter d’échos,
Qu’il est ardu d’écrire un pastiche de mots
Au siècle que je crois la parodique trêve :
Je suis l’homme sans bible et je pense ma crève.
Ostensible, inaudible, horrible crescendo
De chaque os lacrymal qui vogue dans sa taule,
Je suis le consomptible au doigté de l’épaule
Métastasant mes doigts de métrique credo
Ostensible, inaudible, horrible crescendo.
Et quitte à me vomir : je suis comme mutique
D’une pensée immonde… « À mort ! À mort ! À mort !
À mort ou prie ! Au pas ! Toi le-poète-à-mort !
Toi l’Albatros, le fils de l’épouvante orphique !
Le rail d’Anastalise au naseau magmatique ! »
Dans mes vols d’immondice au temps de m’achever
Ce fut la honte du plus loin qu’il me souvienne…
Les pavés d’utopie ont l’aspect d’un domaine
Où rêver du déluge est sursis de rêver
D’éthique soleilleuse à sanctuariser…
Hé ! Porteurs d’encensoir, saignez ! Saignez ! Je saigne-
Cent-couleurs-de-la-trouille ; annoncez les cent cieux
En dissolution du cœur illumineux,
Mon cœur c’est de la messe à crever vierge teigne !
Hé ! Porteurs d’encensoir, saignez ! Saignez ! Je saigne
Quand tari j’ai le cœur à demander… « Au pas ! »
Les psaumes de l’esthète en Esseintes sur pattes,
Donnez-m’en puisque en vrac j’ai l’art des scélérates
Au péplum de l’amen : séminales « olas » !
Moucheur de gros sabots qu’on me bénisse… « Au pas ! »
Car dans l’ombre et jadis j’avais Faust dans mon âme…
Fémurs, bassin, thorax, j’irai crever moral,
S’il faut la vénusté des putains du fatal,
S’il faut crever moral à bon droit je m’exclame
Car dans l’ombre et demain j’aurai Faust dans mon âme.
Par les fécondités de l’amen séminal,
Comme celui d’un prêtre au lasso des Marie,
Humanisé de vœux, je suis l’abject qui prie
En chrétien sexuel de péché social
Par les fécondités de l’amen séminal.
Je m’exclame : ni Dieu, ni le banc des confesses,
Ni de ce mythe d’Er le juge omnipotent,
N’endiablent pas assez la sténo de Satan,
Ah ! comme je suis… fils des capotes d’abbesses
Quand je m’exclame « Dieu ! » : Qu’on me castre en confesses.
Je suscite l’amour de la poète : avoir
De ce pied dans la tombe au seuil de l’art des rêves,
– Quand ouvrir la paupière est symbole des crèves,
Me fait cauchemarder dans le khôl de l’espoir ;
Qu’on m’enseigne l’amour : mon gros sexe au fichoir !
Et puis, en révélant ma Cène personnelle,
Je me nourris de glas, de fers, de clous… « À Mort
Toi le siphon d’erreurs sur l’océan du tort ! »
J’allume un feu de mots dans ma proche cervelle
Comme un Grec sur sa cime en victoire irréelle.
Jadis je fis les croix la beuverie en moi,
L’une fut l’eau de l’art, l’absinthe ou la ciguë,
Exilé sans appel dans la secte absolue :
L’autre le « flac » des vins du Pari sans effroi ;
Telles furent mes croix : la beuverie en moi.
Aujourd’hui, tel le vieil instrument des débâcles :
Moi la brebis j’annonce un Faust… « Par cœur ! Au pas ! »
La hideur de mes traits présage le trépas,
« Parodique poète as-tu fui les Spectacles ?
Aujourd’hui tu n’es que l’instrument des débâcles ! »
Quand l’apparition mariale et l’azur
Se mêlent dans l’asile en scalp d’un œil trop rance,
J’anticipe le mot ainsi que la béance
Qui seront dénués de l’instant de l’art pur :
Cette apparition mariale et l’azur ;
Je dessine mon sang, mes torsions : ma plaie,
Je joue un suicide aux mimes de boyau,
Sisyphe aux doigts de glu, feu-soi, jaune rideau,
Je suis comme un Malin si bien que je m’effraie
À dessiner mon sang, mes torsions : ma plaie.
« Au pas ! Là : l’évangile ! Au pas ! Baisse les yeux !
Par cœur ! » C’est qu’aujourd’hui je veux mes sens putrides,
Les cafards aristos, et consorts : les Danaïdes
Scalper chaque idolâtre en sarcloir de tous dieux…
« Au pas ! Là : l’évangile ! Au pas ! Baisse les yeux !
Par cœur ! »
Plus que crever moral ma laideur sataniste
Deviendra la bonté de chaque adversité,
Quand mon œil de bouseux dans l’inepte clarté
Au détour des tréfonds prendra l’air d’un fumiste
Je crèverai moral de laideur sataniste.
« Au pas ! Par cœur ! Rends-toi ! Prie ! Avoue ! Arme-toi
D’illuminations… » Au nom de ma tourmente
Les nuits ont bu mon âme et je vois la charpente
De mon art dessoûlé : l’indestructible moi…
« Au pas ! Par cœur ! Rends-toi ! Prie ! Avoue ! Arme-toi
D’illuminations… »
Affreux moi : j’en ai honte… En ce vivre d’ascèse
Je rêve d’une ascèse où le pleur serait pus,
« Ne crains pas d’être seul, eux, ils en sont repus ! »
Je suis le déglingué jusqu’à tant qu’il vous plaise :
Affreux moi : j’en ai honte… En ce vivre d’ascèse :
Ce n’est pas comme ça… c’est plus loin… paraît-il…
La décence du gouffre… un faux puits de bitume…
Il paraît qu’imprécise en la main qui s’exhume
La lettre ne sait pas rendre honneur à l’exil :
Ce n’est pas comme ça… c’est plus loin… paraît-il :
C’est plus vil, c’est impur, les fléaux y reposent,
Là-bas… Il faut atteindre un mal qui sera mal
Bien que mon odyssée ait ce champ vespéral
Où semer les gravats des cendres qui s’imposent,
C’est plus vil, c’est impur, les fléaux y reposent ;
C’est plus froid, c’est plus sombre ; au jour des survivants
Je serai ce mourant en proie au mourir-digne,
« Coupable de chercher nombre, talisman, signe :
Tu chercheras moral sur tes funestes dents
Le sang de tes doigts sur… l’ostensoir, pourrissants ! »
Et l’âme ? En condamné je souhaite les vices,
L’être en délabrement, l’insalubre palais
De mes intimités peint à coups de balais,
Je veux le reniement, le poteau des supplices,
Et l’âme ? « En condamné tu souhaites les vices ».
– C’est plus impersonnel, ça scalpe ou ça distend,
Toutes les fleurs du mal subsistent en semence,
Leur secret d’architecte a l’art comme licence :
De la trouille à Milton il passe un revenant
Dont le flip-flap crânien bafouille un fol étant.
Je souhaite l’amour… je n’aurai plus de mère,
Pouvoir lui démontrer le taudis du bourgeois,
Le truqué du génie et l’ordure des rois ;
Car j’ai l’œil de la plèbe et le cœur sans critère,
L’ongle du fossoyeur, l’aspect d’un ver de terre.
Seule elle me dirait ce qu’un fils n’écrirait,
Elle essaierait de voir si son fils est un autre,
Si son fils n’est que fils, si son deuil sans apôtre
Le couronne autrement fou de l’alcool abstrait,
Seule elle me dirait ce qu’un fils n’écrirait ;
Je souhaite le feu… je n’aurai plus de père,
Errant, errant plus bas… semble-t-il plus abscons,
L’interdit littéraire en brasier des raisons
À chercher l’insensé : « quand l’absurde prospère
Tu souhaites le feu… tu n’auras plus de père ».
Je suis une cité perdue au fond des cent
Ruines de l’ailleurs, je bâtis éphémères
Le ciment du savoir et le clou des carrières
Et je vis… paraît-il, cessible et délirant
Dans ma cité perdue au soleil sénescent ;
Dans mon nord il n’est d’art que mon vœu d’amnésie,
« Ta parole est à vendre aux bourreaux… aux vautours ! »
Qu’oublier sans motif soit le Graal du secours.
Qu’on nomme le néant l’aïeul de l’hérésie.
Dans mon nord il n’est d’art que mon vœu d’amnésie.
Comme chemin faisant, traître existentiel,
Comme je suis… rimeur de la crève et des miasmes,
Le fou-teste en monsieur des fosses et des asthmes
Dont le délabrement est le soin d’Uriel
Comme chemin faisant, traître existentiel.
Non mais… ratissez ça… vous râteaux de l’infâme,
Ratissez cet œil glauque et ce front de bouseux,
Jetez-les dans un puits, cimentez… pour qu’en cieux
Je ne fasse plus corps avec le poids de l’âme
Ronde à coups de tarière aux angles d’un vieux drame.
Comme l’on se dévoile en se blessant « Au pas ! »
Monticule de mots, bafouilleuses algèbres,
Confettis de cercueil à ne clamser « Ténèbres ! »
Comme un mot fait cent ciels pour s’écraser « Au pas ! »
Comme l’on se dévoile en se blessant « Au pas ! »
Et comme le hasard ne cueille pas ma danse,
Plus qu’un cœur c’est mon cœur qu’il emporte, rythmé
Dans le bar-Méphisto du pays névrosé,
Comme un verre en goulag se boit en lente transe
Et comme le hasard ne cueille pas ma danse…
Comme l’on tend la croix vers un cœur qui s’éteint
Je tends vers cette page une crève christique ;
Et pensant que cet âge est celui que j’abdique
L’assimilable Faust tend sa stance au destin
Comme l’on tend la croix vers un cœur qui s’éteint.
Julien Quittelier
Inédit
Extrait du manuscrit, Écrits d’hôpital tome 1
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