Le Fleuve des Brumes, Valerio Varesi
Le Fleuve des Brumes (Il Fiume delle Nebbie), mai 2016, trad. italien Sarah Amrani, 316 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Valerio Varesi Edition: Agullo Editions
Le temps de ce roman s’écoule au rythme de l’eau du Pô, qui offre une crue d’une importance exceptionnelle à ses riverains. Lent, mais inexorable, il quitte ses limites pour aller lécher les champs, les forêts, les maisons, plongeant tout, eau, terre et air, dans un univers détrempé, qui s’insinue dans les âmes des personnages mais aussi dans celles des lecteurs.
Valerio Varesi nous offre une histoire sombre, dans laquelle les rudes personnages, façonnés par le Pô et par l’Histoire, encore vivante dans les mémoires, de l’Italie fasciste, font entendre les drames, les haines et les passions qui les hantent. Des personnages romanesques forts, ciselés par l’art narratif de Varesi, mis en relief par un choix délibéré de mise en ombre du héros principal, le commissaire Soneri, bougon, sensible, plutôt lent et maladroit dans ses hypothèses et intuitions, mais obstiné. Le cadre humide, le personnage tranquille de l’enquêteur, ne peuvent manquer d’évoquer pour le lecteur français Le Chien jaune de Georges Simenon et le commissaire Maigret. On est certes loin de Concarneau, mais les hommes de mer ressemblent bien aux mariniers du Pô et les brumes se mêlent, de la Bretagne à la vallée septentrionale du grand fleuve italien.
« Il fit un bout de chemin avec la tête qui bouillonnait et seulement après quelques mètres il comprit que toute cette histoire était une invitation à être de mauvaise humeur. Il se sentait empêtré dans une double affaire dont il ne parvenait pas à extraire l’ombre d’un indice, une ébauche d’hypothèse sur laquelle travailler. Toute supposition se réduisait en miettes, tout scénario s’enlisait comme dans la vase des bras morts ».
Le Pô va délivrer, lentement, au rythme de la décrue, ses vérités enfouies et, avec elles, ses fantômes, ombres sorties des haines anciennes des hommes et de leur cortège d’horreurs. Les idéologies de l’époque fasciste sont lointaines, mais les haines, elles, restent intactes dans le cœur dur des hommes et des femmes du fleuve. Avec la nostalgie des anciens, leur solitude désespérante.
« Au Parti, il y a seulement vingt ans, on nous enseignait que l’Histoire va toujours de l’avant, vers un futur meilleur ; à présent, non seulement l’optimisme a disparu, mais le Parti aussi. Je ne crois franchement pas que les choses puissent s’améliorer. Comme le Pô, nous marchons vers la fange d’une mer fétide » dit le vieux Barigazzi entre deux gorgées de Fortanina, un vin pétillant de la région que le commissaire Soneri apprendra à aimer comme les riverains du fleuve.
Au milieu de ces personnages forts, essentiellement des hommes, on s’attache vite à une femme, Angela, drôle et libérée, qui vient en contrepoint de la noirceur de ce roman. Elle aime Soneri et le prend d’assaut – au sens propre du terme – dans les moments les plus inattendus, de préférence les plus difficiles de l’enquête. Les moments où Soneri perd courage à force de surprises. « Les faits s’enchaînaient selon une dynamique qui n’était presque jamais logique et il est inutile de faire des hypothèses parce que la perspective changeait tour à tour comme dans un vol acrobatique ».
Une histoire captivante, écrite avec une économie de moyens qui fait plaisir et traduite avec souplesse et intelligence. Voilà une lecture qui viendra agrémenter vos mois d’hiver de ses gelées et de ses brumes.
Léon-Marc Levy
VL2
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VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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