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Harem du sultan : entre Orhan Pamuk et les nouveaux ottomans, par Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui le 30.08.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Harem du sultan : entre Orhan Pamuk et les nouveaux ottomans, par Amin Zaoui

 

Nous Algériens, écrivains, historiens, chercheurs universitaires et même simples citoyens, nous traînons en nous, en héritage intellectuel, un complexe envers une vérité historique, qui est la colonisation turco-ottomane de l'Algérie (1515-1830). Dès qu'il s'agit d'évoquer le rapport colonisé-colonisateur pendant la période turco-ottomane dans notre pays, une crispation intellectuelle prend le dessus.

Il faut le dire, le dire clairement à nos élèves, à nos étudiants et à nos lecteurs que ce qui est appelé dans nos manuels scolaires, dans nos thèses universitaires, dans nos débats "présence ottomane en Algérie", était bel et bien "une colonisation".

Notre pays est passé d'une colonisation turco-ottomane à une autre, française. L'Algérie a vécu deux épreuves historiques consécutives : le mal de la colonisation orientale et celui de la colonisation occidentale. Notre peuple a goûté aux deux recettes ! Shawarma et Omelette !

Parce que la colonisation turco-ottomane était menée par l'empire musulman, nos historiens, et à leur tête Abou El-Kacem Saâdallah (1930-2013) que je respecte beaucoup, n'ont jamais admis de dire et de dénoncer ce que les Algériens ont enduré pendant trois siècles de la répression turque. Une colonisation pure et dure.

Après trois siècles de colonisation turco-ottomane, les Algériens se demandent aujourd'hui : y a-t-il quelque chose de qualité ou d'exception que la "présence" turco-ottomane nous a légué en matière de culture, de littérature, de langue, et même d'architecture, hors quelques grandes cités ?

Citez-moi un seul poète, en arabe, en tamazight ou en turc qui a marqué cette époque ? Citez-moi un seul grand savant dans une des trois langues témoin de cette Histoire ? Un historien ? Un féqih moderne ? Un littérateur ?

Certes, les Turcs-Ottomans nous ont légué des souvenirs de pauvreté et les stigmates de l'analphabétisme. Ils ont ramassé les impôts (al-kharaj) en argent, en or, mais aussi en chèvres, en mulets, les caisses de blé, d'orge, des figues sèches... et des petites filles enlevées pour garnir les harems du palais du sultan ! Pour les Algériens, les fellahs, les artisans et commerçants de cette époque turco-ottomane, leur vie n'était pas rose. Les historiens ont rapporté quelque chose sur les massacres turcs en Algérie : "Suite au refus de payer injustement les impôts imposés et l'accessibilité à la forêt de Mizrana pour l'extraction du bois et du liège, le pouvoir turc a organisé, le 29 mai 1825, une expédition punitive contre le village Aït Saïd... qui a provoqué la mort de plus de 300 citoyens du village. L'expédition a été menée par Yahia Agha à la tête de plus de 600 janissaires... Certaines têtes des chefs du village ont été prises par les turques pour les exposer à Bab Aoun devant les chefs turcs". D'autres témoignent : "Entre 1805 et 1813, plusieurs insurrections prirent place, dont celles de 1816 et 1823. Il en fût ainsi également dans les Aurès où les Chaouis avaient interdit toute présence effective du pouvoir ottoman. En 1520, un certain Sidi Ahmed ou El-Kadhi se démarqua des autres Kabyles en résistant à la colonisation turque. Il avait même réussi à s'emparer d'Alger, forçant le chef de bande, Kheir Eddine Barberousse à se replier à Jijel. Le 20 juillet 1535, Kheir Eddine Barberousse lance un raid sur l'île de Minorque, dans les Baléares ; il enleva des centaines de captifs et les fit vendre au marché des esclaves, à Alger".

Dans ses romans, l'écrivain turc Orhan Pamuk, lauréat du prix Nobel en 2006, a hautement décrit le danger que représente la culture nostalgique ottomane sur la pensée politique dans la société moderne turque. Le passé de la piraterie et des razzias, qui a longtemps marqué l'histoire turco-ottomane, est de retour. Aujourd'hui, le populisme conjugué à l'islamisme cuisiné dans une sauce de nostalgie ottomane passéiste est la plateforme des islamistes, et à leur tête, les frères musulmans, parti au pouvoir en Turquie qui petit à petit, tire la société vers des pratiques de la période ottomane, l'époque de Harem sultan ! Loin de l'occidentalisation et de la raison.

 

Amin Zaoui

In "Souffles" (Liberté, Alger)


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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009