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Et si les Juifs maghrébins n’avaient pas quitté le Maghreb ? par Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui 01.06.17 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Et si les Juifs maghrébins n’avaient pas quitté le Maghreb ? par Amin Zaoui

 

La réalité est blessante et l’Histoire nous enseigne et nous renseigne. Il faut regarder autour, il faut fixer le dedans, lire le passé et prophétiser le futur. Et si les Juifs algériens n’avaient pas quitté le pays ? Depuis longtemps, cette réflexion me hante, m’habite. Je l’ai montée à maintes prises. Démontée. Remontée. Et je suis certain que cette question dérangera pas mal de monde de chez nous. L’Histoire sociale du Maghreb nous apprend une conclusion qui est la suivante : le développement de notre société maghrébine ne peut se concrétiser qu’avec la présence de deux facteurs primordiaux : la communauté juive et la laïcité.

Toute société, n’importe laquelle, qui n’a pas dans sa composante socioculturelle une communauté juive active et libre peine à accéder à un développement solide sur les plans économique, social, culturel, artisanal, scientifique, commercial, politique, médiatique… L’Histoire nous enseigne. Il faut avouer que la communauté juive, à travers l’histoire de l’humanité, par sa rigueur, par son savoir-faire, par le sens d’entraide, par la persévérance, apporte à sa société, à sa patrie une vitalité exceptionnelle. Apporte à la société, peu importe la majorité qui domine, un souffle de renouvellement, de stabilité, de défi et d’optimisme historique.

 

---------------------Photo prise au cours d'un mariage juif. Famille Makhlouf Levy de Tlemcen 1909


Les juifs maghrébins, par leur appartenance à la population autochtone, par leur enracinement dans la terre de Tamazgha représentent une partie intégrante de l’Histoire humaine de la région. Ils n’appartenaient pas à l’imaginaire européen. Leur train de vie, sur les plans artistico-culturel, art culinaire et art vestimentaire, se croisait avec le quotidien des autres autochtones, les Berbères et les Arabes musulmans. Leur existence faisait la diversité dans l’unité, dans le camp des autochtones. Séparer pour mieux régner c’était la politique de la colonisation : séparer les Kabyles des Arabes, séparer les juifs des musulmans. Au Maghreb, l’histoire tragique et violente qu’ont vécue les juifs maghrébins, et qui a poussé ces citoyens à quitter leur pays, leur quartier, abandonner leurs rêves, laisser leurs chansons et leur voisin, s’est produite durant les guerres d’indépendance, pendant les indépendances nationales, puis avec les événements qui ont accompagné et qui ont suivi la guerre de juin 67 entre les pays arabes et Israël. Sans doute, les nouvelles générations élevées dans le « un », coupées du monde, bercées dans la haine, loin de la diversité, ces générations n’arriveront jamais à saisir cette réalité historique de l’Histoire commune des autochtones du Maghreb. Certes, il y avait des Juifs qui ont pris le camp de la colonisation, mais il y a aussi beaucoup de musulmans qui ont pris le camp de cette même colonisation. Certes, aussi parmi les juifs, il y avait des martyrs pour la révolution algérienne, pour l’indépendance de l’Algérie. Fernand Iveton condamné à mort, guillotiné le 11 février 1957, en est un exemple vivant dans la mémoire de notre Histoire de libération. Par l’exode massif des Juifs maghrébins, les pays d’Afrique du Nord ont perdu une grande partie de leur patrimoine, une partie de leur mémoire, ont perdu une importante expérience en le savoir-faire accumulée au cours des siècles. Le départ de ces citoyens juifs maghrébins a créé un énorme vide dans tous les domaines. Des villes, à l’image de Tlemcen, Oran, Blida, Alger, Constantine, Fès, Casablanca, Rabat, Assela, Tunis, Gerba… pour ne citer que celles-ci, se sont retrouvées amputées d’une synergie créative irremplaçable. Amputées d’un membre des leurs. Les quartiers qui, jadis, étaient emplis de vie, portés par une volonté humaine inégalée, et par le travail, et par l’art des métiers, et par la concurrence loyale, se sont métamorphosés en quartiers tristes, fanés, où la vie tourne au ralenti et sans goût. La musique qui jadis rassemblait les uns et les autres, la religion de tout le monde, Reinette l’Oranaise, Maurice El Medioni, Cheikh Raymond, Mostapha Skandarani, Larbi Bensari, Fergani, Fadila… les associations de la musique andalouse… ce monde de beauté, de fête et de rêve est en voie d’extinction. Une nuit pesante est tombée sur les villes et sur les âmes !

 

Amin Zaoui

In "Souffles" (Liberté, Alger)


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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009