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Ecriture

Art de consommer - 18

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 04 Janvier 2013. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

Jeannot s’interrompt pour répondre à un doigt levé.


Il fallait, dans la séduction, faire preuve de tact, c’est-à-dire ne montrer aucune marque de désir, car le désir s’exprime, chez les hommes, avec une certaine agressivité. L’agressivité fait fuir.


Il organisait, chez lui, des soirées où il « enseignait l’art de l’approche, puisque c’est le seul art avec les filles. Ce sont elles qui cherchent ensuite à ce que les choses durent ». On s’y précipitait. Ce n’étaient, sur quatre rangées, (on s’asseyait par terre), que garçons boutonneux à lunettes, aux vêtements mal assortis, aux chaussures à bouts ronds, aux montres mémorisant tous les fuseaux horaires et chronométrant au millième de secondes près. Ses amis ne venaient jamais, ils avaient autre chose à faire. Il faisait payer l’entrée dix euros. Il ne distribuait aucun flyer. Le bouche-à-oreille fonctionnait à merveille.

Parfois, une fille venait, visiblement mécontente. Se tenait debout, bras croisés, dans un coin, et Jeannot ne la quittait, pendant toute la durée de son intervention, pas un instant du regard. Il ne la regardait dans les yeux que quelques fois, à des moments qu’il choisissait en fonction des mots qu’il prononçait, se contentant le reste du temps de la garder dans son champ de vision.

Art de consommer - 17

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 17 Décembre 2012. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

Jeannot sonne à l’interphone. Octave présente Lise à Pierre. Pierre salue Jeannot. Jeannot dit qu’il se charge de faire les présentations. Il y a plein de monde, dis donc. Quelle popularité. Lise interrompt Jeannot pour dire qu’elle trouve l’appart immense. Allez, suivez-moi…

 

Près du vase noir effilé d’une hauteur avoisinant le mètre, placé à gauche de l’écran plat de 94 cm de diamètre, contenant un processeur Aquos Pixel System II contrôlant automatiquement le rétro éclairage en fonction de la luminosité ambiante, il faudra penser à changer les orchidées, Jean-Marc.

Il avait été classé un temps 1/6 au tennis, se contentait maintenant de regarder les matchs sur Euronews en buvant des Bloody Mary du fauteuil Voltaire qui était un cadeau de son oncle à sa mère, et en deuxième instance un cadeau de sa mère pour son emménagement.

Non, ce n’était pas trop chiant à préparer, 4 cl de vodka, 12 cl de jus de tomates, un trait de jus de citrons, 1 cuillère à café de sauce worcestershire (ail, sauce soja, écorce de tamarin, mélasse, citron vert, vinaigre, épices, et autres ingrédients dont il avait oublié le nom), 2 gouttes de tabasco, du sel de céleri, du sel et du poivre, et pour ne pas s’embêter, il multipliait les doses, conservait au frigidaire ce qu’il ne buvait pas dans l’instant.

Art de consommer - 16

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 10 Décembre 2012. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

 

- Et si on allait au ciné ?

Elle a dit ça sans réfléchir. Ça ne fait même pas cinq minutes qu’ils sont enlacés.

Il y a justement un film que j’aimerais voir, et la séance est dans moins d’une heure. À l’Accatone, tu sais, rue Cujas. Non, il ne savait pas. On n’a qu’à prendre le métro.

 

Les lumières restent allumées au début du film en noir et blanc sous-titré, projeté dans la plus petite salle. Sur les quatre spectateurs, un se lève (il reviendra plus tard, sans que le noir se soit fait dans la salle, parlera de façon expressive à la femme près de qui il sera retourné s’asseoir, avant de se caller dans le fauteuil). « C’est la salle Télérama, ironise Jeannot. Ils laissent les lumières allumées pour que les spectateurs prennent des notes pendant la projection. »

Elle se blottit contre lui.

Art de consommer - 15

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Lundi, 03 Décembre 2012. , dans Ecriture, Ecrits suivis, La Une CED

« Soyez heureux, si vous voulez l’être. Les gens heureux attirent les gens heureux. Car vous ne serez heureux qu’en fréquentant des gens qui le sont, qui ne se déchargerons pas sur vous de la somme de tracas à laquelle leur semble se résumer, souvent, leur existence. »

Note 61 (feuillet 46) du carnet (D48) de Jeannot Reveiri.

 

Un soir, à la question rituelle de Laurent, clôturant le récit de quelques jours particulièrement mouvementés (il avait été trois soirs de suite dans un sauna qui venait d’ouvrir et qui l’avait enthousiasmé), Lise sourit. Elle l’attendait, a préparé sa réponse à l’avance. Et celle-ci détend complètement le visage du jeune homme.

 

- Demain, j’ai rendez-vous.

- Premier rendez-vous ?

- Oui.

Le 21 août 1944

Ecrit par Marie du Crest , le Vendredi, 30 Novembre 2012. , dans Ecriture, La Une CED

 

Un photographe a dans son viseur le visage d’une vieille dame allemande aux cheveux blancs, très fins, aux yeux ardents. La photo en noir et blanc date de 1991. Je regarde la vieille dame, Inge Müller, en train de tenir dans ses mains maigres et déformées de vieilles photos, celles de sa vie.

L’été, il fait parfois très chaud à Berlin, capitale de la Grande Allemagne. Mais cette ville devient comme une station balnéaire avec ses plages et ses Strandkörbe qui sont de jolies cabanes d’osier, à l’intérieur si intime pour se cacher un peu du monde si gai qui court vers le lac aux eaux fraîches. Le dimanche, 21 août 1944, Berlin étouffe ses habitants. Une photo sans photographe, plus mystérieuse, met en scène deux jeunes femmes, presque deux adolescentes qui, après une course en vélo, ont rejoint la Havelchaussee, du côté de la Grande-Fenêtre, pour croire aux vacances, à la douce liberté dominicale. Exposer son corps au soleil, sentir sa légèreté dans l’eau quand toute l’Europe se meurt dans la guerre, n’est-ce pas nécessaire ?