d a n s e r (par Matthieu Gosztola)

écrire pour seulement
tisser – fils bariolés
de l’écriture, matières
grossières, empêchées
– un Hommage.
danser, pour dé
velopper – l’on
reprend ici la
formulation de
rothko* – « l’
énergie imaginative » (évanescente-et-grandissante
beauté à couper le souffle),
« le rayonnement, l’équilibre, la
composition » (beauté à faire naître
le souffle), « la lumière, la vitalité, l’
élégance, le bouillonnement, une capacité
à transcender la vie et à s’élever au-dessus
d’elle, en rejetant toute emprise » . rejeter
toute emprise, et, dans le même temps,
danser aussi doucement qu’effleurer .
parce que danser, c’est se défaire de
la façon qu’a le langage de prendre
dans ses mains, de saisir, d’objectiver,
de savoir ou de s’imaginer sachant, de se
vêtir de la polaire (contraignante quant
aux mouvements) ou des certitudes ou des
questionnements, parce que danser, c’est
ne plus rien savoir, c’est ne plus rien sai
sir, c’est être : être avec elle, la musique,
être dans la musique, dans ses rythmes, ses
hésitations, dans le trouble avec lequel
elle se lève de sa nuit, du silence, c’est
être dans l’étreinte continue de la musique
avec le silence . avec ce silence devenu multiple,
devenu polyphonique par la grâce de celle qui l’
aime passionnément, et qui seule, sait – avec son
savoir de musique – l’approcher, le faire parler .
parce que danser,
c’est être devenu la musique . l’instinct . l’impulsion
avec laquelle une pousse – pour goûter doucement,
éperdument la mélodie – sort de terre . parce que
danser, c’est être l’esquisse d’une sauvagerie qui
nous permet de renouer, même sans le savoir,
avec les sous-bois, avec une délicatesse d’eau
sur de la mousse, à proximité d’un chêne
centenaire, avec les bouquets de fleurs
sauvages, avec les envols d’oiseaux
migrateurs, avec les mots chuchotés,
et, mieux encore, les mots tus, gardés
dans l’enveloppe du cœur parmi les fleurs
séchées du passé, de tout-le-passé (le cœur est
démesuré, ainsi conçu pour pouvoir : tout accueillir) .
parce que danser, c’est se défaire d’abord du sens que
l’on pourrait croire mettre et dans les mouvements et dans
la façon qu’ils ont, ainsi réunis, qui de faire l’amour, qui de
se dire non . effleurer : le faire dans le catimini avec lequel les
plantes, si belles soient-elles, poussent pour personne, pour la
beauté d’un geste tout entier (son infini) fait de vie, tout entier (
son infini singulier) fait de la respiration lente de la vie, dans l’
éloigné d’une forêt seulement traversée par les présences de l’avant-aube :
animaux sauvages, quand la nuit vient, et se trouve . En catimini :
de même danser, on l’a chuchoté . de même se tenir vivant, pourquoi
non . rothko, en sa dernière manière, née de l’atelier rouge de matisse,
s’efface, tableaux après tableaux (ce sont des séries), sans violence, dans
l’acte même qui consiste à les faire . faire, pour ne rien ériger . la danse rend
légère, vaporeuse, opaque la façon que l’on a de s’approcher (du chuchotement
par quoi vivre peut continuer), d’approcher son trouble (cette chose du cœur qui
tremble, qui cherche à respirer, parce que l’air voulu, rêvé, et ce qu’il contient re
distribueront équitablement les flocons du sang dans le corps, dans tout le corps) .
on danse comme pousserait une ombre sur le crépi d’un mur, dans le midi (bon
jour – en passant – à toi giono), parfois aussi comme vivrait un nénuphar (la
douceur et le tact avec lesquels il invite, puis retient notre regard) dans une eau
immobile baignée de la rumeur, imperceptible, du brouillard (lequel est une in
vitation lancée à notre vue pour qu’elle porte plus avant, plus avant, pour qu’
elle ne se satisfasse guère des satisfaisantes apparences) . et, ce faisant, l’on s’
ouvre à la lumière du monde . fugitive lumière, mais coruscante, mais persistante
au moyen de la morsure qu’elle a faite, qu’elle fait à nos vies, de laquelle ne s’est
levée, ne se lève aucune cicatrice, – mais un apport, inaltérable . et qui appartient
au royaume de l’ineffable : au domaine (immesurable : de très nombreux hectares) »
au domaine de l’amour . danser, c’est vivre seulement dans le petit matin, c’est être
devenu, et continuer à chaque instant de devenir le petit-matin . c’est .
Matthieu Gosztola
* Cf. Bryan Robertson, introduction à 45-99. A Personal View of British Painting and Sculpture, Kettle’s Yard, Cambridge, 1999.
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