Art de consommer - 1

La Cause Littéraire commence aujourd'hui la publication - sous forme de feuilleton - d'un roman original de Matthieu GOSZTOLA. Cette publication s'étendra sur plusieurs mois.
NDLR
Roman-puzzle.
Définition :
Un puzzle, même achevé, laisse toujours visibles les différentes parties qui le constituent.
Le morcellement n’exclut pas l’unité ; il s’en nourrit, car le regard est lui-même morcellement ; la totalité de la lecture, qui confère au livre son caractère d’œuvre achevée, n’est qu’une illusion rétrospective.
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Dédicace : Contre.
Je m’explique : ce roman, qui est une petite chose, à prendre à la légère, se veut contre, contre, contre. À la lecture du titre, on aura deviné. Mais pas seulement. Contre aussi. Et contre. Contre Frédéric Beigbeder, par exemple.
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- Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
- Vraiment ?
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« De nombreux spécialistes de l’image affirment que dans les années à venir, le modèle exemplaire de femme devrait changer : elles devront être plutôt de petite taille, avec un poitrine menue et des jolies fesses volumineuses. »
Wikipédia, article « anorexie mentale ».
Prologue
Le repas de famille s’éternisait.
Elle avait demandé à quitter la table. Elle s’était assurée que la porte de la chambre était fermée avant d’envoyer un texto avec le téléphone portable de sa grand-mère, puis, le texto envoyé, elle s’était jetée sur le lit. Avait rabattu un bout de la housse de couette qu’elle avait dérangé dans son mouvement.
Elle avait attendu fébrilement la réponse, qui n’était pas venue dans l’instant. Elle pensait que si elle ne venait pas dans l’instant, c’était parce qu’elle ne viendrait jamais.
Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il gardait son portable toujours contre lui, et ne l’éteignait qu’entre quatre heures et midi.
Elle devait faire quelque chose ; elle ne pouvait pas rester allongée.
Deux boutons étaient apparus pendant la nuit. Elle avait dû oublier de se regarder dans la glace ce matin.
Elle avait fait un vœu. Avant, elle s’était détournée du miroir en fer biseauté (patine vieillie saumon). Elle s’était tenue bien droite et avait fermé les yeux. Elle les avait rouverts. À travers son velux, elle voyait les étoiles. C’était l’avantage d’avoir des grands-parents qui habitaient à la campagne.
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« Je t’aime mon Bibi, tu est mon ange. Tu me manque, je pense à toi tous les jours. » Alphonse Klein fait une pause dans sa lecture du courrier des détenus pour ouvrir Outlook et passer en revue les différents messages non lus du forum de discussions Instru, accessible seulement par intranet.
Il lui reste encore la lecture des dernières commissions rogatoires rentrées. Celle du courrier des avocats.
Il espère avoir le temps ce soir de continuer à préparer les interrogatoires de l’après-midi pour toute la semaine.
Je partirai à vingt-et-une heures.
Il n’a pas besoin de regarder l’horloge incrustée à droite sur la barre des tâches pour savoir qu’il est déjà dix-neuf heures moins dix. Il est renseigné sur l’heure en entendant son greffier fermer les placards dans le bureau attenant au sien. Quatre bruits de portes rapidement dépliées qui viennent se heurter.
Un peu plus tard, il entend le bruit des clés s’entrechoquant autour d’un Schtroumpf portant la flamme olympique, jaune avec des pointes de rouge, pendant que le greffier ferme à clé les placards.
Il avait trouvé son porte-clé sur ebay.
- Au revoir Monsieur Klein. Vous avez l’air de bonne humeur. Ça fait plaisir.
- Au revoir Puck.
C’était une pièce rare. Il avait pu l’avoir à un prix cassé comme la peinture était rayée à plusieurs endroits.
Et il lui manquait un pied.
Non, la moitié de pied en moins, ce n’était pas d’origine. C’était un accident.
Puck avait semblé désolé qu’il s’en soit rendu compte. Ça se voyait beaucoup ?
Il avait oublié l’affaire Reveiri.
Il partirait à vingt-deux heures.
Il téléphona à son épouse. C’était pour qu’elle ne s’inquiète pas. Il lui restait des actes à produire pour l’affaire Reveiri.
Matthieu Gosztola
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