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Collection de poche de la Martinière

Nos richesses, Kaouther Adimi (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Mardi, 20 Novembre 2018. , dans Points, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Maghreb

Nos richesses, septembre 2018, 192 pages, 6,60 € . Ecrivain(s): Kaouther Adimi Edition: Points

Faire d’une vie d’éditeur un roman, c’est le projet que s’est donné cette jeune écrivaine de trente-deux printemps, née à Alger, vivant aujourd’hui à Paris. Alger n’est pas pour rien dans cette histoire puisque la capitale algérienne joue un grand rôle, elle est l’un des décors importants de cette aventure.

Edmond Charlot, né en 1915, décédé en 2004, fut dans les années trente et quarante une figure héroïque de l’édition à Alger. La librairie qu’il ouvrit devint un vivier de littérature et d’écrivains d’artistes, accueillis dans un mouchoir de poche, un local de quatre mètres sur sept, 2 bis, rue Charras. Camus, Armand Guibert, Jean Amrouche, entre autres, sont passés par cet étonnant lieu de culture, tenu à bout de bras par Charlot et une petite équipe.

Le roman recrée des épisodes de la vie de cet intellectuel rassembleur et passeur grâce aux « Carnets », en alternance ici avec l’aventure d’un jeune étudiant, Ryad, chargé en 2017 de déblayer la Librairie Charlot Les Vraies Richesses, de jeter les livres restants. Au grand dam d’Abdallah, « le dernier gardien des lieux ». La librairie a fermé depuis longtemps, nullement débarrassée. Elle est restée telle après les avanies du temps, quelques parcours agités. La figure de cet ancien, drapé de blanc, rappelle combien le livre était pour lui un trésor à conserver dans les meilleures conditions. Le temps va en décider autrement.

La Femme qui attendait, Andreï Makine

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 16 Mars 2018. , dans Points, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman

La Femme qui attendait, 214 pages, 6,50 € . Ecrivain(s): Andreï Makine Edition: Points

 

Sur le bord de la mer Blanche, à Mirnoïé, un village fantôme sibérien où ne vivent que des enfants, des femmes et des vieillards, perdu entre un lac et une forêt, sous le brouillard et la neige, une femme, Véra, attend, depuis trente ans, le retour de l’homme qu’elle aime, parti au front dans les derniers jours de la deuxième guerre mondiale.

Le narrateur, journaliste écrivain chasseur collecteur de traditions folkloriques en voie de disparition, désabusé du régime soviétique et fatigué de jouer, dans le cercle d’artistes qu’il fréquente, « l’occidental de paille », arrive, avec l’idée d’y passer quelques jours, dans ce lieu désolé, isolé, et, comme pris par les glaces, y séjourne, plus longtemps qu’il ne l’avait prévu, fasciné par l’étrangeté de l’endroit « gelé » dans l’espace et le temps, et par la beauté et le mystère de cette femme hors du commun dont, par déformation professionnelle, il cherche à connaître l’histoire et à mettre à nu la psychologie.

Le donjon, Jennifer Egan

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 03 Octobre 2017. , dans Points, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

Le donjon, trad. anglais (USA) Sylvie Schneiter, 299 pages, 7,50 € . Ecrivain(s): Jennifer Egan Edition: Points

 

Monde réel et monde virtuel, jeux de pouvoir et de rôles, rivalités et complicités, liberté et enfermement s’affrontent, s’opposent et se conjuguent dans cet étonnant roman. Et, insidieusement, on s’y laisse prendre, on se laisse envoûter par les changements de rythme, d’époque, de situation des personnages :

« Ils étaient parvenus à un mur constitué de cyprès. Grand et solide, sans doute lisse autrefois, il ressemblait désormais à un énorme coussin d’où s’échappait le rembourrage. Danny se faufila derrière Howard dans une brèche visiblement creusée depuis peu et, une fois de l’autre côté, le soleil lui chauffa le visage. Il se tenait dans une clairière dallée d’un marbre maculé de taches (…) Danny ne sentit pas aussitôt la puanteur, puis elle l’assaillit : l’odeur de quelque chose enfoui sous terre, émergeant à l’air libre, chargée de métal, de protéines et de sang » (p.58).

Karoo, Steve Tesich

, le Mardi, 29 Août 2017. , dans Points, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

Karoo, trad. (USA) Anne Wicke, 608 pages, 22 € . Ecrivain(s): Steve Tesich Edition: Points

Souvent, et à tort, on ne connaît pas Karoo de Steve Tesich. Sorti en 1998, le roman de presque 600 pages avait tout pour devenir culte, grandiose, pour s’aligner sur ces chefs d’œuvres que comptent la littérature contemporaine américaine. Quand on le lit, on pense à Henry Miller, à Bret Easton Ellis, à Hunter S. Thompson, à Richard Yates. Autant de plumes scandaleuses, qui réussissent le pari de nous distraire, nous choquer et nous émouvoir en même temps avec leurs héros déglingués à l’absinthe, aux plaisirs faciles, et allergiques à toute forme d’intimité. Souvent les auteurs sont des inadaptés notoires qui s’assument, flirtent dangereusement avec l’autofiction, et soignent leurs névroses dans une écriture salvatrice.

Le personnage de Saul Karoo, « script-doctor » qui retouche les productions hollywoodiennes, alcoolique au cœur noir, a-t-il pris racine dans celui de l’auteur Steve Tesich, scénariste hollywoodien de seconde zone ? C’est fort probable. Mais la personnalité de l’auteur restera, elle, un mystère. Mort prématurément avant la sortie de son roman, il nous prive d’une plume qui avait tout pour s’inscrire dans la légende et de réponses aux questions que posent les deux romans magistraux qu’il nous laisse, tous deux publiés à titre posthume. Karoo, pour sa part, nous lâche essoufflés, transcendés, convaincus d’avoir effleuré l’âme d’un génie, et frustrés. On en aurait voulu beaucoup d’autres, des Karoo.

Tais-toi, je t’en prie, Raymond Carver

Ecrit par Didier Smal , le Vendredi, 17 Mars 2017. , dans Points, Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman

Tais-toi, je t’en prie, trad. anglais (USA) François Lasquin, 336 pages, 7,30 € . Ecrivain(s): Raymond Carver Edition: Points

 

Pourquoi lit-on les nouvelles de Raymond Carver (1938-1988) ? Pourquoi lit-on, ses poèmes ? Peut-être pour une raison très simple : comme le chante Gérard Manset nous avons des vies monotones, et celles que raconte Carver leur ressemblent par cette vertu de l’éclat soudain, de l’impression, occasionnelle mais prégnante, d’une faille dans l’univers dans laquelle s’engouffre un mal-être qui prend à la gorge, un peu comme ce que ressent Al, le père au bord du gouffre de la nouvelle Jerry et Molly et Sam : « Il lui semblait que l’univers entier s’écroulait autour de lui. Pendant qu’il se rasait, il s’immobilisa, le rasoir suspendu dans l’air, et fixa son image dans la glace. Son visage était pâteux, informe. Il suait l’immoralité. Il reposa son rasoir. Cette fois, je me suis planté pour de bon. J’ai commis la plus grave erreur de ma vie. Il saisit le rasoir, le plaça contre sa gorge et acheva de se raser ».