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Coffret de 3 romans de David Foenkinos, Gallimard Coll. Folio 

Ecrit par Patryck Froissart 18.08.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman

Le potentiel érotique de ma femme (2004, 179 p.), La délicatesse (2009, 210 p.), Nos séparations (2008, 218 p.), 20,70 € le coffret

Ecrivain(s): David Foenkinos Edition: Folio (Gallimard)

Coffret de 3 romans de David Foenkinos, Gallimard Coll. Folio 

Le potentiel érotique de ma femme (2004, 179 p.), La délicatesse (2009, 210 p.), Nos séparations (2008, 218 p.), 20,70 € le coffret

 

Lorsqu’un lecteur découvre un écrivain sur un ensemble de trois volumes qu’il lit d’affilée avec un plaisir qui ne faiblit pas jusqu’à la dernière ligne du troisième, on peut affirmer, indéniablement, qu’une immédiate et permanente empathie s’est installée entre eux.

Pourquoi ? Comment ? Quelle est la recette ?

Foenkinos est un romancier malicieux, qui vous entourloupe dans ses histoires dont l’originalité tient au fait qu’elles se fondent à la fois, paradoxe habile, sur l’imbrication d’une série de faits courants marquant la vie quotidienne du couple et de situations des plus inattendues accompagnées de réflexions et commentaires des plus surprenants (au sens propre de l’adjectif) frôlant parfois l’ubuesque le plus débridé. Ainsi, quand le présumé cocu s’interroge sur le cinq à sept de son épouse :

« Dans le mensonge et dans la vérité, les femmes sont fascinantes. Brigitte avait donc des courses à faire et puis, en fin d’après-midi, de cinq heures à sept heures, elle verrait son frère. [Son frère] avait bon dos : qu’est-ce qu’elle pouvait faire avec lui un samedi après-midi ? Non, ce n’était pas possible, personne ne voyait son frère ce jour-là. Les frères, ça se voit surtout le mardi midi. Alors le sang d’Hector fit plusieurs tours (au passage, il battait déjà le dicton). Il entrait de plein fouet dans le sursaut de dignité que tout cocu connaît bien… » (Le potentiel érotique de ma femme).

Foenkinos est aussi un romancier impertinent, qui vous détourne sans cesse du courant de l’intrigue vers les méandres adjacents de la pensée faussement naïve d’un narrateur et vous y enfile avec une créativité débordante des perles époustouflantes ayant des airs de brèves de comptoirs. Ainsi la scène classique de la première rencontre, que l’auteur situe, évidemment, banalement dans la rue :

« Nathalie et François se sont rencontrés dans la rue. C’est toujours délicat un homme qui aborde une femme […] Quand un homme vient voir une inconnue, c’est pour lui dire de jolies choses. Existe-t-il, ce kamikaze masculin qui arrêterait une femme pour asséner : “Comment faites-vous pour porter ces chaussures ? Vos orteils sont comme dans un goulag. C’est une honte, vous êtes la Staline de vos pieds !” Qui pourrait dire ça ? » (La délicatesse).

Ou la relation de cette autre rencontre, à laquelle repense le narrateur, qui s’est produite quelque temps avant, au cours d’une soirée, évidemment, et, vulgairement, dans une cuisine, dans un cercle d’invités ne se connaissant pas où il a eu le coup de foudre pour une des filles lui faisant face :

« J’ai pensé : la prochaine fois que je tombe amoureux, je prends aussi le numéro de la fille d’à côté (on ne sait jamais : je suis peut-être destiné à ne rencontrer que les femmes qui sont juste à côté des femmes de ma vie) » (Nos séparations).

Peut-on ne pas s’ébaubir à découvrir ces notes de bas de page, illustration drôle de la relation que feint d’entretenir l’auteur avec ses personnages, comme si… ceux-ci n’étaient pas ses propres créatures ?

1. C’est étrange de s’appeler Alice et de travailler dans une pharmacie. En général, les Alice travaillent dans des librairies ou des agences de voyages.

2. A ce stade, on peut s’interroger : s’appelait-elle vraiment Alice ? (La délicatesse).

Foenkinos est définitivement le romancier des comparaisons incongrues, des rapprochements d’hurluberlu, des « comme si » qui vous décontenancent, vous désarçonnent et vous éberluent, vous laissent un instant perplexe, bouche bée, sourcils froncés, avant qu’une subite et irrépressible bouffée de rire ne manque de vous faire sauter le livre des mains, comme si… avait jailli de la page brusquement l’auteur déguisé en trublion soufflant tous azimuts dans une trompette… comme si…

« Ah, non, désolée, je ne peux pas. Je vais au théâtre ! dit Nathalie comme si elle annonçait la naissance d’un enfant vert » (La délicatesse).

« Il arrivait fréquemment que je prenne en charge nos ébats, et j’aimais alors tenir sa nuque comme s’il s’agissait de son cœur » (Nos séparations).

« Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité » (La délicatesse).

Ne nous y trompons pas pourtant ! Sous l’apparente absurdité de telle réplique, sous l’immédiate irrationalité de telle intrusion, sous le burlesque affiché de telle association d’idées coule un flux constant de tendresse, de détresse, de lucidité qui irrigue la narration et lui donne cette puissante tonalité tragi-comique qui est celle, fondamentalement, de toute relation amoureuse.

Car Foenkinos est le romancier du pire et du meilleur de la vie de couple.

« Nous sommes allés chez Ikea, et nous nous sommes disputés chez Ikea. Dans ce grand magasin, ils devraient embaucher un conseiller conjugal. Car s’il existe un endroit où le cœur des couples se révèle, c’est bien là » (Nos séparations).

Un plein coffret de « délicatesses » littéraires à offrir…

 

Patryck Froissart

 


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A propos de l'écrivain

David Foenkinos

 

David Foenkinos est né à Paris en 1974. A l’âge de 16 ans il est atteint d’une maladie de la plèvre et se fait hospitaliser deux mois. Il lit alors énormément et joue de la guitare. Il étudie les lettres à la Sorbonne, devient professeur de guitare. Après avoir exercé le métier d’attaché de presse dans l’édition, il parvient à faire publier Inversion de l’idiotie, son premier roman, en 2002 chez Gallimard. Il obtient le prix Roger-Nimier pour Le Potentiel érotique de ma femme paru en 2004. La Délicatesse, 2009, lui apporte la consécration. Il adapte le roman au cinéma avec son frère Stéphane en 2011, année où il publie Les Souvenirs, son livre le plus autobiographique, ce dernier roman est adapté en 2013 au cinéma par le réalisateur Jean-Paul Rouve, avec Michel Blanc, Chantal Lauby, Mathieu Spinosi, Annie Cordy et Audrey Lamy.

 

Bibliographie sélective :

La tête de l’emploi (J’ai lu, 2014)

Je vais mieux (A vue d’œil, 2013)

Bernard (Les Editions du moteur, 2012)

Les Souvenirs (Gallimard, 2011)

Lennon (Plon, 2010)

La Délicatesse (Gallimard, 2009)

Nos séparations (Gallimard, 2008)

Les cœurs autonomes (Grasset, 2006)

Le Potentiel érotique de ma femme (Gallimard, 2004)

Entre les oreilles (Gallimard, 2002)

Inversion de l’idiotie : de l’influence de deux Polonais (Gallimard, 2001

(Source : Documentation de Radio-France, juin 2014)

 

A propos du rédacteur

Patryck Froissart

 

Tous les articles et textes de Patryck Froissart


Patryck Froissart, originaire du Borinage, a enseigné les Lettres dans le Nord de la France, dans le Cantal, dans l’Aude, au Maroc, à La Réunion, à Mayotte, avant de devenir Inspecteur, puis proviseur à La Réunion et à Maurice, et d’effectuer des missions de direction et de formation au Cameroun, en Oman, en Mauritanie, au Rwanda, en Côte d’Ivoire.

Membre des jurys des concours nationaux de la SPAF

Membre de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie)

Membre de la SGDL

Il a publié plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, dont certains ont été primés, un roman et une réédition commentée des fables de La Fontaine, tous désormais indisponibles suite à la faillite de sa maison d’édition. Seuls les ouvrages suivants, publiés par d’autres éditeurs, restent accessibles :

-Le dromadaire et la salangane, recueil de tankas (Ed. Franco-canadiennes du tanka francophone)

-Li Ann ou Le tropique des Chimères, roman (Editions Maurice Nadeau)

-L’Arnitoile, poésie (Sinope Editions)