Deux fils se tressent, se tissent, au fil de ce court récit. L’ouverture se fait par l’évocation du film coréen Poetry de Lee Chang Dong, narrant l’irruption de la poésie dans la vie de Mija – personnage aux prises avec la maladie qui lui fait perdre la mémoire, le vieillard grabataire dont elle s’occupe, son petit-fils et les liens obscurs et redoutables de ce dernier avec une jeune suicidée… Film à peine évoqué, à travers la rémanence de la voix de Mija, parce qu’il suscite la surrection du souvenir chez la narratrice à venir :
« Les dernières paroles sur l’eau du fleuve, lequel s’écoule, déverse ses eaux, résonnent encore. Le film s’appelle Poetry, la voix sème des pétales, les platanes absorbent la lumière, et des paroles reviennent, surgies du passé, des éclats de rire aussi, comme le tintement des verres qui s’entrechoquent ».
Deux fils, pour une double histoire – en fait, une même histoire – de filiation : Valérie Canat de Chizy retrace le cheminement qui l’a menée à l’écriture, depuis la position presque autistique, écrit-elle, de son enfance – tandis que le tissage des souvenirs ramène sur la page sa relation au père, à partir de la maladie et de la mort de ce dernier, accompagnement traité avec la délicatesse tendre qu’appellent ces pétales des premières lignes, qu’on imagine flottant dans le vent comme dans la mémoire, avant de disparaître.