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Les Vagues, Virginia Woolf (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mardi, 28 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Le Livre de Poche

Les Vagues, trad. Marguerite Yourcenar, 320 pages, 7,30 € . Ecrivain(s): Virginia Woolf Edition: Le Livre de Poche

 

Dans son journal, Virginia Woolf a noté : « Il y a peu de livres que j’aie écrits avec autant d’intérêt que Les Vagues. (…) Je trouve que cela valait la peine de lutter ». Est-ce à en déduire que la rédaction de ce roman fut une véritable épreuve pour l’écrivaine ? Et d’ailleurs, est-ce un roman, comme on peut se poser la question pour d’autres œuvres de Virginia Woolf ?

Dans tous les cas, il est intéressant de relever une contradiction : se donnant pour but de représenter « la vie elle-même qui s’écoule », la romancière a vraisemblablement eu à se battre pour exprimer les mouvements d’une fluidité propre à l’eau. Cependant, à la façon d’un musicien qui doit lutter longtemps avant de donner naissance à une virtuosité sans effort, Virginia Woolf honore ses intentions de départ : nous voguons, en effet, et le courant n’est pas particulièrement violent. On pourrait même déplorer une forme de lenteur, notamment dans la description des paysages qui ouvre chaque partie du livre (descriptions au reste composées comme de véritables tableaux).

Au pays des poules aux œufs d’or, Eugène Savitzkaya (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Jeudi, 16 Avril 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Les éditions de Minuit

Au pays des poules aux œufs d’or, Eugène Savitzkaya, février 2020, 192 pages, 17 € Edition: Les éditions de Minuit

 

Plus qu’un roman, cet ouvrage peut être qualifié de long (et admirable) poème en prose. Le narrateur le dit aussi « conte » ou « fable » à plusieurs reprises, et il en possède en effet de nombreux aspects.

Sous ces diverses caractéristiques, il est tout aussi indéniable qu’on nous invite dès les premières lignes à une grande aventure, puisque nous assistons à la naissance (ou à la renaissance) d’une terre. Terre qui semble singulièrement proche de la nôtre, mais qui s’en distingue aussi par des traits très nets : comment admettre qu’une renarde et un héron soient devenus un couple, par exemple, et qu’ils aient le don de la parole, de surcroît ?

Nous l’avons dit, c’est une aventure : au sein du monde dont on nous parle, la temporalité est visiblement une donnée mineure. Seul compte le portrait d’une forme d’existence dans ce qu’elle a de plus léger et de plus innocent, de plus pourri et de plus envenimé. Qui dit aventure dit aussi quête et objectif : luisant comme un Saint-Graal indistinct, il nous faudrait enfin toucher ce « pays inaccessible » ; cependant, « aucune route ne menait au pays des poules aux œufs d’or » (p.26).

Trois réputations, Jérémie Gindre (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Mercredi, 18 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Zoe

Trois réputations, Jérémie Gindre, janvier 2020, 128 pages, 15 € Edition: Zoe

 

L’illustration de couverture, signée Simon Roussin, nous révèle un aspect fondamental du livre : la place qu’y tient la nature. Ses couleurs lumineuses s’accordent même au caractère fantasque, éclaté, à la fois réjouissant et étrange, de ces trois destins qui nous sont narrés, définitivement hors norme.

D’une certaine façon, le lien avec la nature, dont notre époque nous fait valoir l’importance et le retour, Jeannie Plantier, Epke Janssen et Bill Ronson le possèdent mieux que quiconque. Paradoxalement, c’est parce qu’ils ont appris et connaissent cette connivence privilégiée avec les espaces naturels qu’ils sont parmi les plus éloignés de leurs semblables – le rapprochement avec la terre rendrait-il moins humain ?

C’est une des réflexions que l’on peut se faire à la lecture de Trois réputations de Jérémie Gindre, dont l’humour, et même la causticité à certains moments, n’a d’égal que la fantaisie et l’austérité de ses trois protagonistes.

Partage de la nuit, Patrick Devaux (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 09 Mars 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Le Coudrier

Partage de la nuit, Patrick Devaux, Ill. Catherine Berael, 70 pages, 16 € Edition: Le Coudrier

 

Nous voici dans un moment où notre conscience se laisse glisser vers un autre niveau du monde, à moins qu’à l’inverse elle n’ait enfin le moyen de s’éveiller pleinement à ce monde. Nous voici dans ces instants déterminants où l’aube est sur le point d’apparaître, où le crépuscule est si bien installé qu’il nous place dans le mystère et l’expectative, qu’il nous invite à une observation plus minutieuse de l’espace, qu’il nous met face à quelques questionnements centraux.

C’est l’impression qu’apporte ce très délicat Partage de la nuit de Patrick Devaux qui, dans une langue poétique aussi épurée que suspendue (la disposition graphique elle-même semble faire état d’une suspension, suspension du temps, suspension du geste), nous emmène au sein d’une oscillation entre ombre et lumière, nous conduit à cette frontière incertaine où tentent de se rencontrer le jour et la nuit, où le jour et la nuit s’essayent à un partage des éléments.

La Demoiselle Sauvage, S. Corinna Bille (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Jeudi, 13 Février 2020. , dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Nouvelles, Gallimard

La Demoiselle Sauvage, S. Corinna Bille Gallimard, collection Blanche – Mai 1975 (réédition juin 2014) 216 pages – 16,90 € Edition: Gallimard

 

La Demoiselle Sauvage est un titre parfaitement choisi, à l’image de ce recueil de nouvelles où les femmes sont plus présentes que les hommes, où les forêts du Valais semblent ne pas nous quitter tout au long de la lecture, où le désir tient une place somme toute importante dans l’histoire des personnages, qu’il s’agisse d’un désir réprimé ou vécu avec complexité. Cependant, ce recueil, qui a reçu la Bourse Goncourt de la nouvelle en 1975, ne nous apparaîtrait pas aussi riche si une atmosphère de rêve et une forme de fausse innocence colorée ne venaient compléter ces tableaux de vie surprenants, oscillant entre le conscient et l’inconscient.

Les titres des nouvelles pourraient eux-mêmes faire penser à une suite de contes charmants, mais c’est une relative tromperie : « Le Garçon d’Aurore », « La Jeune Fille sur un cheval blanc », « Le Rêve », « L’Envoûtement »… Envoûtés, nous le sommes, comme sous l’effet d’un sort légué par le talent de Corinna Bille (qui, du reste, a aussi écrit des contes pour les enfants), mais c’est pour mieux nous faire entrer dans les turpitudes, les frustrations, les méandres intérieurs des femmes et des hommes parfois.