Rohmer en poèmes (16) Ma nuit chez Maud

Le Flore
Les Deux Magots
Le Flore
Surtout
De longues heures au Flore
Des thés
Des petits gâteaux
Toutes sortes de thés
Tout commence là
Tout a débuté à cet endroit
A ces endroits
Pour Rohmer
Il a observé, observe
Les gestes
Des gens
De certaines personnes
Pénétrées d’un certain
Charme
Qu’elles renvoient ensuite
Mais jamais loin d’elles
Qu’elles renvoient
Et qui revient
Aussitôt vers elles
Qui retourne en elles
Qui fait
Autour d’elles
Comme un halo
Oui, elles
Surtout
Mais ils parfois
Aussi
Certaines personnes
Mais il n’en oublie pas
De regarder les autres
Leurs attitudes
De longues heures
Il se laisse pénétrer
Par le naturel
Des personnes
Attablées
Et conversant
Il a compris
Pendant ces longues observations
Où son regard est lui
Que le charme
A trait à ce qu’on
Ne saurait définir
Seulement capturer
Avec un œil qui sait écouter
Il a compris que le charme
Est non reproductible
Au moyen d’indications
Même d’une précision inouïe
Avec La Collectionneuse
Il se dit amoureux des gestes
De ses acteurs qui ne sont pas
Des acteurs
Il se dit amoureux
De certains gestes
Le mouvement des mains
Les sourires
Timides
Ou ouvrant le visage
Pour que soit
Perceptible
Sa lumière
Perceptible
Comme
Exactement comme
De la chair
De pamplemousse
Avec Ma nuit chez Maud
Il ne veut pas que les dialogues
Puissent laisser une place
Même étroite
A l’improvisation
Il écrit tout
Même les silences
Même les hésitations
Chaque hésitation est notifiée
Sur la partition
Chaque silence est écrit
Les acteurs ne peuvent qu’être
Accaparés par le texte
Qu’ils disent
Qu’ils doivent dire parfaitement
D’autant plus que les plans-séquences
Sont longs
Très
Et que Rohmer ne veut faire qu’une prise
S’il agit ainsi
C’est pour que les gestes des acteurs
Ne puissent plus être des gestes d’acteurs
C’est pour que ce soient les gestes
Des êtres qui se vivent
Dans le poitrail des acteurs
C’est pour que ce soient
Ces gestes de la vie
Ces gestes de l’infime
De l’oubli
Ces gestes de l’aveu
Et de l’humeur
Ces gestes de l’ennui et de l’émotion
Qui se vivent
Et vivent sur la pellicule
C’est pour que ce soient ces gestes qui vivent
Et seulement eux
C’est pour qu’eux seuls transparaissent
Gestes et sourires
Et regards
Trop occupés par leur texte
Les acteurs en oublient de paraître
Ils en oublient de chercher à ce que leurs
Gestes aient un sens
Qui ne soit pas contenu
Dans la précise imprécision
De leur personnalité
Ils oublient tout ce qui occupe
D’ordinaire
Les acteurs
Et sont d’un charme naturel
Que la caméra respectueusement
Approche
Sans jamais quitter son docte
Vouvoiement
Matthieu Gosztola
« Six contes moraux », III, Ma nuit chez Maud (1968)
Réalisation, scénario : Éric Rohmer, d’après une idée originale d’Alfred de Graaff.
Image : Nestor Almendros, assisté d’Emmanuel Machuel.
Électricité, machinerie : Jean-Claude Gasché et Philippe Rousselot.
Décors : Nicole Rachline.
Son : Jean-Pierre Ruh, assisté d’Alain Sempé.
Montage : Cécile Decugis, assistée de Christine Lecouvette.
Mixage : Jacques Maumont.
Musique : Mozart (« Sonate pour violon et piano K 358 », interprétée par Léonide Kogan).Production : Barbet Schrœder et Pierre Cottrell (Les Films du Losange), Alfred de Graaff et Pierre Grimberg, avec FFP, Simar Films, Les Films du Carrosse, Les Productions de la Guéville, Renn Productions, Les Films de la Pléiade, Les Films des Deux Mondes.
Interprétation : Jean-Louis Trintignant (Jean-Louis), Françoise Fabian (Maud), Antoine Vitez (Vidal), Marie-Christine Barrault (Françoise), Léonide Kogan (le violoniste), père Guy Léger (le prêtre), Anne Dubot (l’amie blonde), Marie Becker (Marie), Marie-Claude Rauzier (l’étudiante), et les ingénieurs de l’usine Michelin de Clermont-Ferrand.
Distribution : CFDC-UGC, Sirius, Consortium Pathé.
Date de sortie : 6 juin 1969.
Durée : 107 mn.
Format : 35 mm, noir et blanc, 1,33.
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