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By the rivers of Babylon, Kei Miller (2ème critique)

Ecrit par Marc Ossorguine 17.11.17 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Zulma

Ecrivain(s): Kei Miller Edition: Zulma

By the rivers of Babylon, Kei Miller (2ème critique)

 

Après L’authentique Pearline Portious (The Last Warner Woman, 2010) l’année dernière, c’est le dernier roman de Kei Miller que Zulma nous offre avec ce By the Rivers of Babylon (Augustown, 2016). Disons-le tout de suite, c’est un bien séduisant cadeau de rentrée. De la Jamaïque – voire de l’ensemble des Caraïbes – nous connaissons plus de musiciens, voire de sportifs, que de poètes ou d’écrivains anglophones, peut-être parce que, de langue anglaise, ils sont noyés dans la masse de la littérature anglo-saxonne.

Né en 1978, Kei Miller n’est cependant pas tout à fait un débutant et a commencé à publier dès 2006 avec un recueil de nouvelles (short stories), Fear of Stones and Other Stories. Depuis ont suivi quatre recueils de poésie, trois romans et un volume d’essais et prophéties. Il reste pour nous un auteur à découvrir.

By the rivers of Babylon nous plonge dans le quartier d’Augustown (ou August Town), une banlieue de Kingston. Un quartier qui fut un village déshérité mais aussi un lieu chargé d’une histoire singulière, liée à la culture Rastafari. Nous découvrons ainsi un personnage qui a bien existé, le « prêcheur volant », Alexander Bedward, qui eu sa propre église et prophétisa son envol pour les cieux le soir du 31 décembre 1920. Mais n’allez pas à partir de cela vous imaginer qu’il s’agit simplement d’un de ces romans pleins de mots bizarres et pittoresques, de transe et de magie, de mystique et de rites importés d’Afrique et mis à la sauce caraïbe…

« Et attention, ce n’est pas du réalisme magique. Ni même encore cette même histoire de superstition et de croyances primitives dans les Caraïbes. Non, vous ne vous en tirerez pas si facilement. Cette histoire parle de gens qui existent comme vous et moi, aussi réels que je l’étais avant de devenir une chose flottant dans le ciel, délivrée de son corps. Et vous pouvez aussi vous arrêter sur une question plus urgente : non pas de savoir si vous croyez à cette histoire, mais plutôt si celle-ci parle de gens que vous n’avez jamais envisagé de prendre en considération ».

Il ne s’agit donc pas de croire ou de ne pas croire, mais de rencontrer ce que l’on ne connaît qu’à travers un vague folklore, de vagues croyances, des sympathies qui peuvent être par ailleurs parfaitement sincères, mais qui, qu’on le veuille ou pas, réduisent peut-être un peu trop l’autre à des stéréotypes… Mais peut-être aussi faut-il accepter les choses telles qu’elles sont racontées, sans chercher à en faire des connaissances historiques rigoureuses, rationnelles.

Dans cette histoire, il y a Ma Taffy, rendue aveugle par les rats qui ont fait s’effondrer le plafond de sa maison. Il y a Gina, sa fille. Une fille-mère qui a bien failli se débarrasser de son enfant, mais qui fait tout pour lui. Pour son ti-gars Kaia. Kaia qui va malgré lui être au cœur du drame qui va se jouer, de « l’autoclapse », de la catastrophe d’apocalypse qui en entraînera d’autres. Cela à cause d’un instituteur mal embouché qui ne supporte pas les dreadlocks des rasta. Nous rencontrons bien d’autres personnages qui joueront aussi leur rôle dans cette journée, comme le jeune Soft-Paw, chef de bande qui lutte à sa façon contre le pouvoir officiel, la police légale mais pas vraiment légaliste (celle de « Babylone »).

La première victime ce jour-là fut Kaia. Pour le consoler, et surtout lui donner aussi une colonne vertébrale pour se tenir dans la vie, Ma Taffy lui raconte l’histoire du « prêcheur volant », de celui que l’on venait voir de loin et annonçait le temps des peuples noirs, Alexander Bedward. Dans cette version, il n’y a pas à en douter, le prêcheur s’est bien envolé pour le ciel, peut-être pour retrouver l’Afrique. L’histoire officielle des blancs qui l’auraient fait interner dans un hôpital psychiatrique, ce n’est qu’une histoire de blancs. Une histoire de Babylone où les noirs sont toujours perdants. L’histoire de Ma Taffy, confirmée par la magnifique voix de Gilzene – qui était bien là en 1920 – est de celles qui construisent une colonne vertébrale d’être humain aux descendants des esclaves. C’est peut-être bien le plus important.

Il n’y a pas que de la pauvreté à Kingston et le quartier de Beverly Hills n’a pas grand-chose à voir avec Augustown. Là-bas les maisons sont grandes. Luxueuses. La réussite sociale s’y affiche, plus blanche que noire. La limite entre les deux quartiers peut même parfois être perméable. Gina et Madame G., la directrice de l’école de Kaia, la franchiront souvent. Mais cela suffira-t-il à la maintenir ouverte, à faire reculer la violence et la fatalité ? Peut-être. Peut-être pas. Mais peut-être l’essentiel est-il, comme le dit Ma Taffy, d’avoir une colonne vertébrale qui permette de se tenir debout. Get Up Stand Up, chantait le plus célèbre des jamaïcains… Il s’agit bien de résister tous les jours à toutes sortes de dominations, des hommes envers les femmes, des blancs envers les noirs, des riches envers les pauvres, ces colonisés envers les colons, des éduqués envers les « under-educated », voire des vivants envers les morts. Certains choisissent, tel Soft-Paw, de prendre les armes, mais si elles permettent de se tenir debout, elles peuvent faire aussi chuter. Les récits et les mots aussi permettent cela, cette résistance qui fait les êtres humains. Cela peut prendre la forme d’un roman, de la poésie ou de contes.

« Car quoi de plus humain que ce désir : échapper aux tourments de la Terre et à sa sinistre gravité ? Existe-t-il désir plus humain que celui de s’élever, de voler ? ».

Un auteur dont la prose témoigne à la fois – dans la traduction que nous en livre Nathalie Carré – d’un sens poétique, d’un équilibre et d’une fluidité dans l’oralité qui nous rend impatient d’en découvrir plus, mais aussi de faire l’effort de le découvrir dans sa langue d’origine. Vous pourrez déjà commencer avec L’authentique Pearline Portious, en attendant la suite…

Augustown a permis à Kei Miller de remporter pour la deuxième fois l’OCM Bocas Prize for Caribbean Literature 2017 (la première fois, c’était en 2014 pour ses essais et prophéties, Writing Down the Vision).

 

Marc Ossorguine

 

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A propos de l'écrivain

Kei Miller

 

Kei Miller est né en 1978 à Kingston en Jamaïque. Poète, romancier, essayiste, il vit au Royaume-Uni. L’authentique Pearline Portious est son premier roman traduit en français (source : éditions Zulma).

 

A propos du rédacteur

Marc Ossorguine

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr